Kang Wang (Count Rupert), Quentin Hayes (Hortensius), Anthony Gregory (Karl), Trevor Bowes (Arimanes), Frank Church (Braccacio), Sally Silver (Satanella), Christine Tocci (Stella), Catherine Carby (Lelia), Elisabeth Sikora (First Lady). John Powell Singers, Victorian Opera Orchestra, dir. Richard Bonynge (2014).

CD Naxos 8.660378.9. Ditr. Outhere.

Chanteur et compositeur célèbre dans les pays de l'ancien Empire britannique, Michael Balfe (1808-1870) est peu connu en France, sinon à travers son opéra The Bohemian Girl (et surtout son adaptation cinématographique de 1936 avec Laurel et Hardy). Quelques amateurs de voix historiques auront pu entendre un air de Maritana, cheval de bataille des ténors anglo-saxons depuis le fameux John McCormack, mais c'est sans doute à peu près tout. Satanella ou le Pouvoir de l'amour, opéra romantique en quatre actes de 1858, sera donc une totale découverte.

Inspiré du Diable amoureux de Pierre Gazotte, le livret raconte la rédemption d'une créature satanique tombée amoureuse de sa victime, un aristocrate vaguement libertin ; son sacrifice au profit de la fiancée de ce dernier signera son salut. Il s'agit en fait d'un opéra avec dialogues parlés (supprimés ici) et dont les aspects spectaculaires ont dû beaucoup compter dans son succès non démenti jusque dans les années 1880. L'intrigue pleine de rebondissements invraisemblables multiplie les décors - quasiment un par scène - dans une recherche continuelle de l'effet et nous entraîne d'un palais merveilleux au marché aux esclaves de Tunis, en passant par une bibliothèque gothique dans la tour du diable ou une caverne infernale. On y reconnait l'influence du mélodrame italien et singulièrement de Donizetti à qui le prélude orchestral ne manque pas de faire penser, mais aussi celle de l'opéra-comique français des années 1830 - Robert le Diable n'est pas très loin, tant dans les personnages que dans l'intrigue. Le caractère souvent populaire de l'inspiration (ballades, romances, chœurs « folkloriques ») en fait un hybride extrêmement savoureux. Plutôt éclectiques avec une forte tendance au pastiche, l'inspiration et le style de Balfe évoquent aussi Offenbach - sans en avoir le caractère franchement parodique : l'humour est surtout perceptible dans les dialogues (livret téléchargeable en ligne). Son métier est évident dans de jolis préludes, des ensembles bien construits et une utilisation très fine de thèmes récurrents comme celui de la rédemption par l'amour qui caractérise le rôle-titre.

Assez exigeante vocalement, la partition ne réclame pas moins de huit rôles dont au moins quatre principaux : un ténor lyrique, une basse bouffe, un trial, une basse noble, un baryton et trois sopranos dont une colorature et un lyrique-léger. On en doit l'édition à Richard Bonynge, qui la dirige avec enthousiasme et compétence, résurrection remarquable dont la distribution, bien que composée de parfaits inconnus, se révèle excellente et parfaitement idiomatique. On accordera une mention particulière à Sally Silver, au patronyme prédestiné, particulièrement brillante dans le rôle-titre, et au ténor Kang Wang au timbre très séduisant - mais chacun mériterait d'être cité. Pleine de surprises et d'une invention toujours renouvelée, cette œuvre est une véritable perle du répertoire léger de la période victorienne, qui devrait combler les amateurs de découvertes inattendues. Au-delà de la simple curiosité, elle ouvre aussi une fenêtre décidément très intéressante sur une époque injustement méconnue de la musique anglaise.

A.C.