Antoine Silverman (Einstein, au violon), Helga Davis, Kate Morgan, The Philip Glass Ensemble, dir. Michael Riesman. Mise en scène : Robert Wilson. Chorégraphie : Lucinda Childs (Paris, Théâtre du Châtelet, janvier 2014).

DVD Opus Arte OA 1178. Distr. DistrArt Musique.

Si l'on a pu à plusieurs reprises dans ces colonnes se montrer circonspect à l'égard des œuvres scéniques de Philip Glass, c'est peut-être parce que le coup de maître d'Einstein on the Beach, indissociable de la collaboration avec Robert Wilson, rendait difficile voire impossible, par sa nature même, une réplique d'une magnitude équivalente. La première de cet opéra en 1976 à Avignon tenait en effet de la secousse sismique : pas d'intrigue, pas de dramaturgie au sens traditionnel du terme, par de livret, pas de personnages clairement identifiables à l'exception d'Einstein, cantonné sur scène à ses interventions au violon, et pas davantage d'airs. Aussi présents que les fragments de texte parlé de Christopher Knowles, Samuel M. Johnson et Lucinda Childs, les longues énumérations de chiffres et le solfiage de gammes et arpèges, initialement destinés à servir de repères avant l'adoption d'un texte définitif qui n'allait jamais advenir, contribuaient également à briser certains codes liés au genre.

Captée au Théâtre du Châtelet, cette luxueuse reprise dont la première française avait eu lieu à Montpellier en 2012 permet d'apprécier, avec cette fois une chorégraphie entièrement confiée à Lucinda Childs, la remarquable pertinence scénique d'une œuvre dont l'attrait ne s'est aucunement fané. À une mise en scène épurée aux airs de pop art chic, qui donne à des personnages baignés le plus souvent de couleurs froides des allures volontiers robotiques inspirées à Wilson par certains troubles des autistes, répond une musique procédant par boucles modifiées par touches successives et par juxtaposition brute de sections. La forte présence d'une pulsation régulière, le flux presque intarissable d'arpèges rapides, les enchaînement d'accords qui affirment un langage hyper-tonal (et très souvent indexé, peut-être sous l'effet du In C de Terry Riley, sur le ton de do majeur) en même temps qu'ils défient en permanence les canons classiques de la tonalité - et notamment le tabou des « quintes parallèles » -, tout cela nécessite des interprètes rompus à la musique du compositeur. Le Philip Glass Ensemble n'a pas son égal dans ce domaine et Michael Riesman mène tout son monde, y compris un chœur impeccablement synchrone et homogène, avec une précision redoutable, à l'image de cette production millimétrée dans ses moindres détails. Bien que l'opéra repose plutôt sur une performance collective, il serait injuste de ne pas saluer Helga Davis et Kate Morgan, non seulement pour leur forte présence scénique mais aussi pour leur diction d'un texte parlé qui demande par moments une véritable virtuosité oratoire. Lorsqu'elle se détache du chœur pour son long solo (IV, 2, « Bed »), la mezzo-soprano Hai-Ting Chinn réussit à donner, sans hypothéquer sa maîtrise technique ni la puissance de sa projection, l'illusion d'une certaine candeur vocale, fort pertinente dans cette scène. Dans un registre différent de la prestation violonistique d'Antoine Silverman, le solo de saxophone ténor d'Andrew Sterman dans « Building » (IV, 1), d'abord sobre puis montant graduellement en puissance, prend aux tripes lorsqu'il atteint un paroxysme débridé.

Cette très belle captation vidéo, qui rend justice à la beauté des prestations dansées, des décors et des lumières, fait de ce double DVD le support idéal pour découvrir ou revivre un opéra désormais historique.

P.R.