Bernard Deletré (Idoménée), Jean-Paul Fouchécourt (Idamante), Sandrine Piau (Electre), Monique Zanetti (Ilione), Marie Boyer (Vénus), Jérôme Corréas (Eole, Neptune, la Jalousie, Némésis), Les Arts Florissants, dir. William Christie (1992).

Harmonia Mundi HMY 2921396.98. Notice en français, pas de livret. Distr. Harmonia Mundi.

C'est l'un des fleurons des Arts Florissants qui nous revient aujourd'hui en collection « économique », dans un packaging peu glamour (sans le livret intégral). Ah, les années quatre-vingt-dix, époque bénie durant laquelle un éditeur de musique classique ne craignait pas, pour exhumer une œuvre inconnue, d'accorder des semaines de répétitions à ses artistes comme à ses preneurs de son ! De Campra - dont on ne connaissait alors que quelques extraits de L'Europe galante et un Tancrède tronqué (Malgoire, 1990, Erato) -, on savait qu'il avait composé en compagnie de Danchet un ouvrage dont Mozart s'était plus tard inspiré pour son Idomeneo. Mais découvrir cet Idoménée intégral, en vers et en notes, n'en constituait pas moins un choc. On prenait alors connaissance d'un texte puissant et cruel, moulé sur une tragédie sanglante de Crébillon parsemée de brutales interventions divines, véritables manifestations de l'inconscient sadique des protagonistes (leur disparition rendra le livret d'Idomeno fade et obscur). On découvrait une langue musicale souple et sensuelle, certes parsemée de divertissements hauts en couleurs (naufrage, apparitions de Protée et de la Jalousie, fureur des vents, échappée champêtre), mais au récitatif particulièrement ductile - et présent. Car cet Idoménée, d'abord créé en 1712 (sous Louis XIV) est ici donné dans sa version révisée de 1731 qui, contrairement à ce qu'on aurait pu croire, accentue l'austérité et le tragique du propos en augmentant la proportion des récits « secs », tournant ainsi le dos à la galanterie promue par la Régence.

Christie et ses interprètes ont particulièrement fouillé cet aspect de la partition, travaillant les mille nuances de la déclamation jusqu'à la rendre à la fois « naturelle » et formidablement expressive : les monologues des deux héroïnes, très caractérisées (Electre volcanique, consumée ; Ilione pudique, frémissante) prennent à la gorge, et les enchaînements avec les pages plus décoratives font beaucoup d'effet. Certes, d'un point de vue strictement « technique », on peut reprocher à Piau une élocution encore encombrée, à Zanetti des prises de souffle un peu bruyantes, à Fouchécourt un caractère trop plaintif, à Deletré et à Boyer des sonorités plébéiennes : tous, cependant, réussissent la gageure d'incarner des personnages de chair et de sang, furieux ou désespérés, s'exprimant dans une langue dont l'extrême sophistication (travail d'orfèvre du continuo !) s'efface derrière la crudité des enjeux. Jamais peut-être les contradictions de la tragédie lyrique, noire et pourtant magnifique, n'ont été mieux mises en lumière....

O.R.