Elodie Fonnard, Eugénie Lefebvre (sopranos), Etienne Bazola (baryton), Ensemble Les Surprises, dir. Louis-Noël Bestion de Camboulas (2015). 

Ambronay AMY046. Notice en français. Distr. Ambronay Editions.

Partition à quatre mains, partition aux mille vies : d'abord ballet de cour créé pour (et dansé par) un Louis XV de vingt-et-un ans, aux Tuileries en 1721, Les Eléments est remanié sous forme d'opéra-ballet en bonne et due forme pour une reprise à l'Académie royale de Musique - à la ville, donc - en 1725. Par la suite, Madame de Pompadour et la reine Marie Leszczynska se l'arrachent pour des exécutions dans leurs appartements respectifs, tandis que diverses scènes françaises l'exhument (jusqu'en 1780 !) ou lui suscitent des parodies. De qui est la musique ? On ne sait trop. Le vieux Delalande et son successeur Destouches (de quinze ans son cadet) furent sommés d'y travailler ensemble : on peut supposer la main du premier dans l'ouverture et les chœurs, celle du second dans les récits et airs - mais la partition originale de 1721 ayant disparu, on en est réduit aux conjectures. Peu importe : les larges extraits que nous donnent à entendre Les Surprises n'en sont pas moins fascinants. Sur le thème si prisé des quatre éléments primitifs (qui inspirera une fameuse « symphonie de danse» à Jean-Féry Rebel en 1737), le librettiste Pierre-Charles Roy greffe l'intrigue de quatre entrées auxquelles s'ajoute un Prologue dédié au Chaos. Si la deuxième et la quatrième entrées (l'Air et la Terre) ne sont ici représentées que par de brefs divertissements (scintillantes pages pour les Heures et les Zéphyrs, beau « sommeil », savoureuses musette et chaconne), la première (l'Eau) et la troisième (le Feu) donnent lieu à de véritables actes d'opéra, mettant en scène, l'une, les amours tumultueuses de Neptune, l'autre, une étonnante anticipation de La Vestale de Spontini ! La musique enchaîne les airs et duos virtuoses pour les Sirènes, deux tempêtes, de sublimes « récits » dignes de Rameau (pour Emilie, notamment) et des chœurs dansés d'une grande sophistication.

S'il faut d'abord s'habituer à une certaine dichotomie interprétative - style large, puissant, mais effectifs de chambre (une douzaine d'instrumentistes) - qui nous fait craindre, comme souvent, une présence trop discrète des violons, le petit format ici privilégié confère à la musique lisibilité, vivacité et polychromie. Les rythmes se cambrent avec grâce, les différents plans des « chœurs » (à trois voix, du coup : soprano, mezzo, basse), les ornements et détails picturaux (« Qu'à nos sons éclatants ») ressortent merveilleusement. Ajoutons qu'Eugénie Lefebvre et Etienne Bazola font montre de beaucoup d'assurance et d'éloquence, tandis qu'Elodie Fonnard, en premier dessus, déçoit pour cause d'émission trop serrée. Après un premier disque remarqué (consacré, justement, à Rebel - chez le même éditeur, 2014), Les Surprises et leur chef inspiré confirment leur nom et leur réputation naissante.

O.R.