Christopher Purves (Saul/l'Ombre de Samuel), Iestyn Davies (David), Lucy Crowe (Merab), Sophie Bevan (Michal), Paul Appleby (Jonathan), Benjamin Hulett (Abner, le Grand Prêtre), John Graham-Hall (la Sorcière d'Endor), Orchestre de l'Age des Lumières, dir. Ivor Bolton, mise en scène: Barrie Kosky (Glyndebourne 2015).

DVD Opus Arte. Notice en français. Distr. DistrArt Musique.

La Sorcière d'Endor (chantée par un homme, comme prescrit) sort d'entre les jambes de Saül puis l'allaite de ses seins flapis ; la bouche pleine de lait, Christopher Purves se met alors à dialoguer avec lui-même, puisqu'il chante à la fois le rôle du roi d'Israël et celui de Samuel... Ce n'est que l'une des visions expressionnistes que multiplie la mise en scène de Barrie Kosky. Elle débute dans une cour décadente du XVIIIe siècle (celle de Charles II ?) inspirée du Meurtre dans un jardin anglais de Greenaway puis, à l'acte II, convoque, on ne sait trop pourquoi, des costumes contemporains. Parfois forte (la mer de bougies représentant la chambre nuptiale de David, l'océan de cadavres qui fait suite au combat du Mont Gelboé), souvent obscure (pourquoi le Grand-Prêtre est-il déguisé en Joker aux griffes mauves ?), elle joue habilement des focales, rétrécissements et élargissements de l'espace grâce aux rideaux, ainsi que d'une chorégraphie iconoclaste, mais s'articule sur une direction d'acteurs trop inspirée du soap opera - et que je te pousse, tire, flanque par terre, grimace et m'arrache les cheveux - pour toucher vraiment. L'œuvre s'y prête à moitié. Touffu, résolument expérimental avec son orchestre bariolé, son Ouverture mêlant sinfonia à l'italienne et concerto pour orgue et ses 86 numéros musicaux (dont très peu de récitatifs et d'airs da capo), le cinquième oratorio anglais du Saxon (1739) possède en effet une dimension shakespearienne qui appelle le théâtre. Mais l'action véritable y est expédiée en deux ou trois brèves scènes : à l'acte III, trente secondes suffisent à représenter la bataille tandis qu'on pleure Saül pendant trente minutes... Dans ces conditions, n'importe quel scénographe court le risque du remplissage et Kosky ne l'évite pas. Bolton, pour sa part, et à son habitude, conduit son monde à un train d'enfer - c'est viril, nerveux mais aussi bruyant et peu sensible. Chœur et orchestre y gagnent une tonicité qu'ils n'ont pas toujours eue - tant pis pour les détails (les airs planants de David, par exemple). Tant pis aussi pour le délicieux rôle de Michal, vociféré par Bevan, et pour les vocalises de Saul, savonnées par un Purves efficace mais fruste. Appleby est un Jonathan solide mais sans grâce, Davies un... David concerné et lumineux, Crowe une Merab étincelante malgré quelques sons appuyés, Hulett un superbe Grand-Prêtre en dépit de son accoutrement (et l'on se réjouit de retrouver tous ses airs puisque la partition est donnée intégralement). Pour le chant, tournez-vous donc plutôt vers Mackerras (Archiv) ou Harnoncourt (Teldec). Pour l'image, vous n'avez pas le choix - notons d'ailleurs l'excellence de la réalisation due à François Roussillon, habile à capter les regards et donc à sublimer une scénographie parfois grotesque.

O.R.