Patrizia Ciofi (Dinorah), Etienne Dupuis (Hoël), Philippe Talbot (Corentin), Chœur et Orchestre du Deutsche Oper, dir. Enrique Mazzola (concert, 29 septembre-1er octobre 2014).

CD CPO 555 014 2. Distr. Distrart Musique.

Fouillant dans les contes bretons de Souvestre, Barbier et Carré en assemblèrent deux pour écrire le livret de Dinorah. Une héroïne bellinienne qui perd la raison, un épisode central évoquant la scène de la « Gorge aux loups » du Freischütz, une teinte de folklore armoricain avec chevrière folle, troupe de chasseurs, trésors maudits, manipulations psychologiques diverses - un opéra romantique ? Oui, mais taillé à la mesure et dans le carcan de l'Opéra-Comique, avec le classique personnage drolatique en sus - ici un pleutre, Corentin - et des dialogues parlés. Le patron du Comique, Emile Perrin, s'était acquis un contrat avec Meyerbeer et le compositeur des Huguenots voulait se renouveler : c'est à lui qu'échoirait Dinorah.

Meyerbeer reprit le livret en l'augmentant, tirant du plus qu'il pouvait vers le drame noble, conscient qu'après son Prophète Paris ne l'espérait pas dans une veine « mineure ». Il n'avait pas tort. Tout de sa musique fut loué mais le livret tomba sous les rires des railleurs. Meyerbeer reprit sa copie, finalement Dinorah ferait sa carrière à Londres, remaniée, repolie, italianisée surtout, portée par la Carvalho à peine quatre mois après la création parisienne. Au XXe siècle, on ne la connaissait plus justement que dans la voix de Callas et par un air, « Ombra leggera ». Du Meyerbeer plus Bellini que Meyerbeer. Ce furent les anglais d'Opera Rara, se souvenant que Covent Garden avait gardé le matériel de la création in loco, qui osèrent en 1979 la première intégrale, mais en français - toute l'équipe, bien que vaillante et musicienne, butant sur le livret. Dommage, car si Deborah Cook réduisait la chevrière à sa colorature, James Judd conduisait tout cela avec style et, dans la silhouette de Gotherd, Della Jones était épatante.

Finalement ce n'est toujours pas de Paris que nous parvient cette seconde Dinorah française mais de Berlin, grâce à l'entêtement d'Enrique Mazzola - style parfait - qui règle un orchestre virtuose et évocateur : on est en concert, on se croirait au studio tant l'exécution est immaculée. Il dispose par-dessus tout d'un trio de tête au français impeccable. Etienne Dupuis détaille avec beaucoup d'art le personnage complexe d'Hoël et chante grand style. C'est justement son style notoirement noble que Philippe Talbot plie avec une pointe de génie au comique de Corentin ; il y est sous-employé mais peu importe. Si les comprimari se bornent à silhouetter, Patrizia Ciofi réalise la quadrature du cercle : belcantiste absolument, de technique et d'âme, et soignant un français très tenu. Sa folie, son incarnation fragile qui glisse dans les mots des sous-entendus, des ombres, révèle ce personnage absolument romantique par qui Meyerbeer entendait bien faire ici une grande œuvre malgré le cahier des charges du Comique. Il faudrait bien que les mêmes s'attachent à L'Etoile du nord.

J.-C.H.