Emanuele D'Aguanno (Nearco), Michael Fabiano (Poliuto), Ana María Martínez (Paolina), Gyula Rab (Un chrétien), Igor Golovatenko (Severo), Timothy Robinson (Felice), Matthew Rose (Callistene), AdamOpis Marsden (Un chrétien), London Philharmonic Orchestra, dir. Enrique Mazzola, mise en scène : Mariame Clément (Glyndebourne, 15 juillet 2015).

DVD Opus Arte OA 1211 D. Notice et synopsis : angl., franç., all. Distr. DistrArt Musique.

Composé en 1838 d'après Polyeucte de Corneille et sur une idée d'Adolphe Nourrit qui espérait alors relancer sa carrière à Naples avec l'aide de Donizetti, Poliuto fut finalement créé au San Carlo dix ans plus tard, après la mort du ténor et du compositeur : la censure royale s'était initialement élevée contre le livret de Salvatore Cammarano qui impliquait la représentation en scène d'un sujet sacré - en l'occurrence, le martyre des chrétiens dans l'Arménie occupée par les Romains. Entre-temps Donizetti avait adapté sa partition à un livret de Scribe pour offrir à l'Opéra de Paris un grand-opéra français, Les Martyrs, qui y firent un succès en 1840 et furent ensuite traduits à leur tour en italien... Et Poliuto ? On l'oublia un peu, mais Callas et Corelli le remirent au goût du jour en 1960 à La Scala - d'autres grands noms viendraient ensuite défendre cette belle partition (Gencer, Ricciarelli, Carreras...) qui, même dans sa version originale, mêle déjà la solennité du grand-opéra français au panache du chant italien. Un Verdi ne s'y était pas trompé, qui s'inspire ouvertement du chœur des prêtres romains « Celeste un'aura » pour le « Gloria all'Egitto » d'Aida.

En 2015, la production de Glyndebourne constituait la création britannique de l'ouvrage. Pour l'occasion, le Festival a su réunir une équipe musicale au niveau des enjeux. Dans le rôle-titre, Michael Fabiano manque un peu de nuances mais sa vigueur est toujours balancée par un style surveillé ; reste une présence scénique assez placide qui paraît parfois extérieure au drame qui se joue. C'est surtout la Paolina d'Ana María Martínez que l'on remarque : son timbre généreux est riche de couleurs et d'intentions, sait passer du voile inquiet à la flamme exacerbée et parvient à dessiner un personnage attachant et vibrant ; sa maîtrise technique, la netteté de ses attaques, traits et aigus, est admirable et toujours au service d'une expression. Face à elle (et notamment dans leur duo du II), Igor Golovatenko déploie un chant si souple et pluriel, sachant mordre comme caresser, qu'on en vient à être touché par son Severo : l'hédonisme du bel canto rejoint là l'ambiguïté d'un théâtre complexe. Dans les camps respectifs et opposés, le Callistene dangereux de Matthew Rose écrase le Nearco instable d'Emanuele D'Aguanno. De bout en bout la direction d'Enrique Mazzola conserve à la partition son nerf et sa dignité, à la tête d'un London Philharmonic Orchestra concerné (malgré une petite faille de justesse de la clarinette solo à son entrée) et d'un Chœur de Glyndebourne remarquable.

Quant à la mise en scène de Mariame Clément, elle opère une lecture fidèle tout en l'accessoirisant d'une actualisation relative : les Romains sont remplacés par des troupes fascistes, les chrétiens, par une population apeurée et secrètement résistante, le tout dans une Europe post-Seconde Guerre mondiale. Les costumes et décors de Julia Hansen font le choix d'une ambiance sombre et grise, dont la monochromie mériterait une direction d'acteurs plus électrique pour éviter de paraître parfois terne. Mais on ne boudera pas son plaisir devant une soirée qui rend pleinement justice au Poliuto de Donizetti, et une captation qui prend la tête de la vidéographie de l'ouvrage devant celle de Bergamo 2010 (DVD Bongiovanni).

C.C.