Véronique Gens (Blanche de Sainte-Croix), Nora Gubisch (Jeanne), Charles Castronovo (Robert), Boris Pinkhasovich (Guillaume), Jean-Sébastien Bou (le Comte de Sainte-Croix), Patrick Bolleire (le Sénéchal), Enguerrand de Hys (le Baron de Savigny), Orchestre Philharmonique de Radio France, Chœur de Radio France, dir. Patrick Davin (live 24 juillet 2015).

CD Palazzetto Bru Zane « Opéra français ». Distr. Outhere.

Ce devait être un grand opéra à la française, vaguement tiré des Scènes féodales de Mérimée par Edouard Blau, le librettiste du Roi d'Ys. Mais là où Lalo envisageait d'abord un drame social, à travers la révolte de paysans écrasés de corvées et d'impôts contre des seigneurs sans pitié, Blau voyait aussi une intrigue amoureuse entre un manant et la fille de son maître : La Jacquerie est donc née d'un malentendu. Lalo, de plus, n'alla pas plus loin que le premier acte, pour lequel il emprunta à Fiesque, autre grand opéra, jamais représenté et lointainement inspiré de Schiller. A sa mort, en 1892, Julie Lalo confia l'œuvre à Arthur Coquard qui, loin de le trahir - ou de se trahir -, sut concocter une partition qu'on pourrait presque, à quelques tournures près, prendre pour du Lalo. Au point que l'ami Condé, le meilleur expert en la matière, va jusqu'à « regretter que Coquart n'ait pas mis davantage la main dans le premier acte, car si l'œuvre progresse efficacement jusqu'à la fin, c'est bien grâce à lui. »

Reste donc un grand opéra en quatre actes, beaucoup moins long que ceux que nous connaissons - à peine deux heures -, créé avec succès à Monte-Carlo en mars 1895, repris ensuite à Lyon et à l'Opéra-Comique. Il a ses scènes d'ensemble, ses grands déploiements choraux, surtout quand la révolte éclate à la fin du troisième acte. Comme d'habitude, les soubresauts de l'Histoire n'épargneront pas les amants innocents : tout s'achève dans le sang d'un massacre général et Robert, le rebelle épris de justice, mourra sous les coups de son camarade Guillaume, un fanatique, pour avoir voulu protéger sa bien-aimée... après un duo aux extases quasi tristaniennes. Mais l'opéra rappelle surtout Le Prophète de Meyerbeer : comme Jean, Robert prend la tête d'une rébellion paysanne et sa mère Jeanne entretient avec lui une relation presque fusionnelle. Une belle partition, dans l'ensemble, bien construite et parfois inspirée, pas à la hauteur, cependant, du Roi d'Ys ou des grands opéras historiques du répertoire. Plutôt qu'un chef-d'œuvre, de la belle ouvrage. Cela dit, à l'heure où l'on ressuscite tout et le reste, il n'était pas incongru de capter ce concert du festival de Montpellier 2015.

Les interprètes, de plus, y croient. Patrick Davin, très efficace, préserve tout ce qu'il y a de théâtral dans cette Jacquerie, trouvant de belles couleurs pour les scènes plus intimes. Michel Tranchant n'a pas moins préparé le Chœur de Radio France. Familier de ce répertoire, Charles Castronovo a la vaillance et les tendresses de Robert, coulées dans une ligne à fois tenue et raffinée. Egalement raffinée, on s'en doute, est la Blanche de Véronique Gens, toute en frémissements sans mièvrerie, au phrasé aussi sûr que délicat. Boris Pinkhasovich a le mordant et la violence du fanatique, mais ne sacrifie pas le chant à la brutalité des accents, pas plus que Jean-Sébastien Bou, le seigneur odieux qui exige que ses paysans fournissent la dot de sa fille, pour laquelle il infléchit sa voix dans des épanchements attendris. Sans être le grand mezzo d'opéra qu'appellerait Jeanne, Nora Gubisch s'impose par sa présence douloureuse et tutélaire : le duo des deux femmes, où l'une pleure le père qu'elle a perdu et l'autre le fils qu'elle va perdre, constitue l'un des moments les plus forts de cet opéra de « Lalo-Coquard ».

D.V.M.