Giorgio Giuseppini (le Roi), Veronica Simeoni (Amnéris), Kristin Lewis (Aida), Andrea Bocelli (Radamès), Carlo Colombara (Ramfis), Ambrogio Maestri (Amonasro), Maria Katzavara (Une prêtresse), Juan José de León (Un messager), Orchestre et Chœur du Mai Musical Florentin, dir. Zubin Mehta (2015).

CD Decca 00289 483 0075. Distr. Universal.

Comme lors de leur précédente collaboration (Turandot, Decca 2015), le nom d'Andrea Bocelli supplante non seulement celui de Zubin Mehta sur la couverture de cette nouvelle Aida (il est placé plus haut - bon...), mais aussi celui de l'interprète du rôle-titre (il est au-dessus, et plus grand !). Jennifer Wilson (Turandot) et Kristin Lewis (Aida) auront donc accepté ce qu'une Sutherland n'aurait pas cédé à un Pavarotti (première Turandot dirigée par Mehta, déjà chez Decca, en 1972), ni une Nilsson à un Corelli (Aida selon Mehta toujours, chez EMI cette fois, en 1967) - et ce que, tout simplement, le bon sens réprouve.

Le capital sympathie dont dispose le ténor et les millions (par dizaines, voire centaine) de disques qu'il a vendus suffisent-ils à faire de lui un Radamès - et tout simplement un ténor d'opéra ? Non. Et qu'un enregistrement de studio ne puisse le cacher dit à quel point la faille est grande. Certes, Bocelli se donne à fond, et quand ce « à fond » se situe en plein cœur modéré de la tessiture et dans un phrasé langoureux, tout va encore à peu près bien ; mais « Se quel guerrier io fossi ! » expose un format vocal bien court, où l'éclat se maintient aux dépens du soutien ; « Celeste Aida » s'épanche au point de forcer l'orchestre et son chef à un statisme indigne, avec force points d'orgue tendus et plats, et un aigu final dont le decrescendo est complaisamment réverbéré ; les micros de « Su del Nilo », bien lourd, laissent passer le ténor au premier plan dès qu'il intervient, y compris en ensemble - faisant fi des partenaires ; le duo du II s'époumone, et la fin sonne le glas d'une aventure incompréhensible.

Mehta perd le sens du drame à chaque fois qu'il lui faut suivre le ténor, et le retrouve ailleurs, aidé par des artistes allant du plus qu'honnête (on apprécie Lewis malgré une pointe d'accent dans son italien, et Simeoni en dépit de quelques effets grossis) à l'exceptionnel. Voir ici Ambrogio Maestri en Amonasro laisse rêveur.

Bref, ce miscasting, préjudiciable aussi bien à Aida qu'au reste de l'équipe, servira sans doute à ajouter cet « album » à ceux vendus par la déferlante bocellienne. Pour notre part, nous renverrons l'auditeur à la récente version Warner, exactement contemporaine mais affichant un cast d'anthologie (Harteros, Kaufmann, Semenchuk et Tézier sous la direction d'Antonio Pappano), unanimement saluée comme une nouvelle référence. Ou aux grandes versions du passé (voir L'Avant-Scène Opéra pour le détail !). Et à Mehta 1972 : une époque où le chef et son studio faisaient passer Verdi avant le marché.

C.C.