Patricia Petibon (Alcina), Philippe Jaroussky (Ruggiero), Anna Prohaska (Morgana), Katarina Bradic (Bradamante), Anthony Gregory (Oronte), Krzysztof Baczyk (Melisso), Elias Mädler (Oberto), Juliet Alderdice (Alcina âgée), Jane Thorne (Morgana âgée), Freiburger Barockorchester, dir. Andrea Marcon, mise en scène : Katie Mitchell (Aix-en-Provence, 2015).

DVD Erato 0190295974367. Distr. Warner Music.

Cette Alcina ose un plateau juvénile (chaque interprète y effectue sa prise de rôle !) mais très homogène et soudé. Et ce, jusque dans les personnages secondaires : splendide Melisso de Krzysztof Baczyk, Oronte raffiné d'Anthony Gregory malgré des graves un peu courts et, en Oberto, un boy soprano tel que Haendel l'avait souhaité - Elias Mädler, d'une maturité de chant impressionnante. De son mezzo profond et intense doublé d'une présence scénique tempétueuse, Katarina Bradic dessine une Bradamante incendiaire face à laquelle le Ruggiero leggerissimo et très clair de Philippe Jaroussky semble un peu pâle ; son chant fait pourtant merveille dans les volutes de zéphyr de « Verdi prati » ou dans l'élégie stylée (« Mi lusinga il dolce affetto ») mais convainc moins, malgré sa virtuosité, dans le fiorito héroïque. Le cast des deux magiciennes fonctionne mieux, voix sororales dans leur délié frivole, mais distinctes par une malice piquante pour l'une (délicieuse Morgana SM d'Anna Prohaska) et une féminité tragique pour l'autre : Patricia Petibon scotche la salle par l'intelligence de son portrait fouillé et le jusqu'au-boutisme de son jeu, dont on retiendra peut-être au plus haut un « Ah, mio cor » d'anthologie. Dirigés du clavecin par Andrea Marcon, les Freiburger Barockorchester sonnent ici avec une plénitude racée et un foisonnement de coloris captivant jusque dans les récits.

Côté théâtre, on gardait le souvenir d'une mise en scène aussi brillante intellectuellement qu'encombrée scéniquement. Le DVD en ravive l'impression tant la réalisation de Corentin Leconte découpe à l'envi les points de vue et changements de caméra : trop de maniérisme et d'intentions qui fragmentent la perception du spectateur de façon parfois asphyxiante, sans pour autant rendre complètement justice à la simultanéité des actions qui est au cœur du dispositif de Katie Mitchell. Celui-ci est pourtant singulier et opérant : nous montrer Alcina et Morgana en vieilles sorcières à la beauté factice (deux actrices plus âgées doublonnent les interprètes) et comment elles métamorphosent leurs amants prisonniers, au gré d'un décor compartimenté aux cloisons pleines de magie. La virtuosité du propos et de sa réalisation scénographique, par ailleurs d'une grande élégance esthétique (décors de Chloe Lamford, costumes de Laura Hopkins), est indéniable et doublée d'une direction d'acteurs très juste. De la très belle ouvrage... qui provoque paradoxalement une admiration cérébrale plutôt qu'une émotion théâtrale.

C.C.

A lire : notre édition d'Alcina, L'Avant-Scène Opéra n° 277

et notre dossier « Alcina au Festival d'Aix-en-Provence » dans L'Avant-Scène Opéra n° 289 (Opéra et mise en scène, volume 2)