Stephen Bronk (Genzo), Clemens Biber (Matsuo) , Kathryn Lewek (Kwan Shusai), Simon Pauly (Gemba), Fionnuala McCarthy (Schio), Jana Kurucova (Kotaro), Elena Zhidkova (Tonami), Orch. de la Deutsche Oper Berlin, dir. Jacques Lacombe (concert live, 2012).

CD CPO 777813-2. Distr. DistrArt Musique.

En 1913, Carl Orff, dix-huit ans, écrivait un de ses premiers essais lyriques d'après Terakoya, un drame de la littérature classique nippone du Xe siècle exaltant l'esprit de sacrifice des samouraïs sur un fond d'intrigue politique sordide qui aboutit à un meurtre d'enfant par substitution. Kwan Shusai, fils du shogun Michizane, est hébergé secrètement par Genzo dans l'école du temple dont il est le professeur. Mais Gemba, l'homme de main de Tokhira, le rival de Michizane, découvre la supercherie et exige la tête de Kwan Shusai. Genzo décide alors de substituer à l'enfant de son maître un autre élève, Kotaro, arrivé à l'école la veille : leur ressemblance est troublante. Au cours de l'opéra on comprend que Kotaro est le fils de Matsuo, un ancien samouraï de Michizane. Matsuo et son épouse, Schio, conscients de la ressemblance de leur fils avec celui de Michizane, avaient consenti au sacrifice de leur enfant, sachant parfaitement que la loyauté de Genzo pour leur maître le pousserait à commettre ce meurtre par substitution afin de sauver Kwan Shusai.

Six ans plus tard, Felix Weingartner, profitant d'une nouvelle traduction de Terakoya, proposait sa propre version. Tout atteste qu'il ne connaissait pas l'ouvrage d'un Carl Orff alors enclin à suivre les sirènes debussytes. Il se démarque d'ailleurs du livret en faisant de Kotaro le personnage central du drame : tel Iphigénie, le jeune garçon consent à son sacrifie sous les yeux horrifiés de Kwan Shusai. Le drame y gagne en tension. Sur cette trame affreuse, Weingartner a concentré un langage fulgurant où les éléments japonisants sont aussi rares qu'efficaces (la déploration finale du chœur) : le sujet lui est tout, avant même le décor. Parmi la noria des opéras en un acte inaugurée dans les pays germaniques avec la Salomé de Strauss en 1905, Die Dorfschule occupe une place singulière : perméable à un vérisme stylisé qui aura fait la fortune des opéras de D'Albert ou de Korngold -plus d'une fois la magie sonore de Violanta n'est pas loin -, la tension psychologique et l'économie de l'écriture vocale y visent cependant à une efficacité théâtrale imparable.

Jacques Lacombe avait marié en un même concert donné à la Deutsche Oper de Berlin en mai 2012 les ouvrages de Felix Weingartner et de Carl Orff - CPO a également publié le Gisei du compositeur des Carmina burana -, y apportant beaucoup de lyrisme et assemblant des distributions choisies : Stephen Bronk campe de son baryton profond un émouvant Genzo, Simon Pauly brosse en deux traits le terrible Gemba, Clemens Bieber explore le caractère complexe de Matsuo, Fionnuala McCarthy met une pointe de génie à Schio, éplorée mais noble, tous rendent justice à ce bref ouvrage - trois quarts d'heure - qui donne envie d'en savoir plus sur Weingartner compositeur lyrique : Sakuntala (1894), Kain und Abel (1914), Dame Kobold (1916), entre autres, mériteraient les honneurs du disque.

J.-C.H.