William Dazeley (Roderick Usher), Eugene Villanueva (l'Ami de Roderick / le Bourgmestre), Virgil Hartinger (le Médecin / Jean), Lin Lin Fan (Lady Madeline / Jeannette), Michael Dries (le Haut-Sonneur). Chœur de chambre St Jacobi Göttingen, Orchestre Symphonique de Göttingen, dir. Christoph-Mathias Mueller (2013)

CD Panclassics PC 10342. Distr. Outhere.

Comme beaucoup d'autres, Debussy fut hanté par Poe, que les traductions de Baudelaire avaient révélé en France. A un questionnaire sur ses prosateurs préférés il répondait en 1889 : « Flaubert, E. Poe. » C'est d'ailleurs cette année-là qu'il envisage de mettre en musique La Chute de la maison Usher, avant de s'intéresser au Diable dans le beffroi en 1902, après la création de Pelléas. Les deux opéras, pourtant, ne virent jamais le jour, alors qu'ils devaient être créés au Met. En une seule soirée : l'histoire étrange de l'amour incestueux de Roderick Usher, dernier rejeton d'une lignée décadente, pour sa sœur Madeline trouverait son antithèse comique à travers les facéties du diable dans un petit village hollandais ayant « juré fidélité éternelle à ses horloges et à ses choux » - deux conceptions du temps, au fond.

S'il reste un peu d'Usher, les esquisses du Diable sont encore plus limitées. Faut-il, dans ce cas, se lancer dans l'achèvement ? Le compositeur chilien Julian Allende-Blin proposa une version d'Usher, d'une vingtaine de minutes, enregistrée par Georges Prêtre. Le musicologue anglais Robert Orledge s'est attaqué aux deux œuvres. Deux fois plus long que celle d'Allende-Blin, son Usher nous refait plus ou moins Pelléas, son Diable patine - on se demande d'ailleurs comment Debussy aurait traduit en notes l'ironie du sujet, notamment les danses comme la Tarentelle du second tableau. Le « musicologue créatif » a beau connaître visiblement Debussy de l'intérieur, attribuerait-on, si l'on ne savait pas, tout cela au compositeur ? « Créatif », vraiment ?

Frustrante démarche, parce qu'elle nous renvoie à ce qui ne s'est pas fait - sans le cancer, Debussy aurait-il composé Uhser ? En 1915, il écrivait encore : « J'allais mettre au point [...] La Chute de la maison Usher. » En 1916, il finissait la version définitive du livret, un an plus tard notait des esquisses. Cela dit, ne rejetons pas l'entreprise, considérons-la seulement pour ce qu'elle est. Christoph-Mathias Mueller la défend avec conviction, même si l'on préférerait entendre ici de grands chefs debussystes - imaginons un Salonen... Les chanteurs aussi, mais il faut passer parfois sur un certain exotisme articulatoire, rédhibitoire dans les passages parlés d'Usher - de ce point de vue, la version Prêtre s'impose évidemment. Bref, une curiosité.

D.V.M.