Rolando Villazón (Belmonte), Diana Damrau (Constance), Franz-Josef Selig (Osmin), Anna Prohaska (Blonde), Paul Schweinester (Pedrillo), Thomas Quasthoff (Selim), Chamber Orchestra of Europe, dir. Yannick Nézet-Séguin (live, Baden Baden, juillet 2014).
CD DG 479 4064. Distr. Universal.

 

C'est à Baden-Baden que, profitant le plus souvent de productions scéniques, DG enregistre en CD les opéras de Mozart, avec pour maîtres d'œuvre le chef Yannick Nézet-Séguin et le Chamber Orchestra of Europe. De fait, si les distributions sont parfois irrégulières, ce sont bien le maestro canadien et l'orchestre qui sont les principales sources d'attraction de ces versions : cet Enlèvement ne déroge pas à la règle, il est même plus abouti encore que les Mozart italiens. Car si l'écoute en procure un plaisir de chaque instant, c'est de toute évidence grâce à cette baguette agile et ailée, et à cet orchestre pétillant et transparent. Le chef se trouve au juste point d'équilibre entre le cliché d'une certaine grâce mozartienne fondée sur le rebond et la légèreté, et un sens réel de la construction qui permet à l'expressivité des ensembles de se déployer dans le temps avec naturel. Nous sommes aux antipodes des surprises incessantes que nous réservent au même moment les projets quasi expérimentaux de Teodor Currentzis dans Mozart, oscillant en permanence entre coups de génie et extravagances arbitraires : Nézet est un classique. On le trouverait presque conventionnel, à ceci près que son classicisme n'a rien de figé.

Si réserves il doit y avoir, elles viendront plutôt de la distribution. Et surtout de la tête d'affiche : Rolando Villazón enregistre Belmonte à un stade critique de sa carrière, où les rôles qui lui restent accessibles se sont raréfiés. Celui-ci, l'un des plus exigeants du répertoire mozartien pour ténor, le place face à des difficultés en termes de puissance et d'agilité (deux qualités qui souvent s'excluent...), dont sa voix actuelle, indurée et déformée, ne vient pas à bout. Il n'en reste pas moins que l'artiste est de taille, et qu'il parvient à émouvoir par l'incarnation et la progression psychologique. Diana Damrau, elle aussi, est à un tournant de sa carrière, où elle abandonne l'un après l'autre les rôles de virtuosité : sa Constance est certes impressionnante d'autorité dans l'accent, avec une forme de flamme glacée qui fait ô combien exister le personnage, mais c'est au prix de quelques raideurs et acidités vocales qu'elle n'avait pas il y a quelques années. Bonheur sans mélange, en revanche, pour l'Osmin considérable de Franz Josef Selig, aussi grand chanteur que musicien, peu bouffe dans l'esprit mais considérable de présence et de discipline. Joli couple ancillaire, en particulier le Pedrillo mordant de Paul Schweinester, davantage que la Blondchen toujours un peu pâle d'Anna Prohaska, tandis que Thomas Quasthoff apporte au rôle parlé du Pacha Selim toute sa science de la déclamation allemande classique. Un Enlèvement en rien définitif, mais qui prend sans rougir sa place dans une discographie pourtant nombreuse.

C.M.