Nicola Alaimo (Guillaume), Juan Diego Flórez (Arnold), Simon Orfila (Walter), Simone Alberghini (Melchthal), Amanda Forsythe (Jemmy), Marina Rebeka (Mathilde), Luca Tittolo (Gesler), Alessandro Luciano (Rodolphe), Celso Albelo (Ruedi), Wojtek Gierlach (Leuthold), Orchestre et Chœur du Teatro Comunale de Bologne, dir. Michele Mariotti, mise en scène : Graham Vick (Pesaro, août 2013).
Decca 074 3870. Distr. Universal.

Bravo Flórez ! Brava Marina Rebeka ! Réussir Guillaume Tell en version française tient aujourd'hui de l'exploit. Le Festival Rossini de Pesaro relevait le gant en 2013 avec un certain panache, dont la présente captation vidéo permet de se convaincre.

Vidéo, hélas, pourrait-on pourtant dire, tant la régie de Graham Vick produit l'effet d'un pétard mouillé. La lutte des Suisses contre l'occupant autrichien, élevée au rang de symbole de tous les soulèvements patriotiques, se disperse dans l'immense Arena Adriatica aménagée à la sortie de la ville pour accueillir ce spectacle trop envahissant pour le Teatro Rossini. La réalisation de Tiziano Mancini n'en peut mais. Ses plongées et contre-plongées sur un décor de studio de cinéma d'une désolante nudité (Paul Brown) ne sauraient donner sens aux déplacements de chœurs et de personnages erratiques. Il ne suffit pas de maculer de sang les murs de cet espace ni de brandir un poing levé ou des drapeaux pour donner corps à ce propos révolutionnaire. Les ballets qui prétendent stigmatiser les crimes de l'ennemi vont de l'insipide (I) au ridicule à prétention corrosive (III). Le bucolique asile héréditaire d'Arnold n'émerge qu'au travers d'une projection d'images grisâtres. Reste l'escalier monumental descendant du ciel à la fin de l'ouvrage et qu'emprunte le jeune Jemmy pour accéder à un avenir radieux, seule image convaincante de cette production.

De direction d'acteurs, point : la main sur le cœur façon récital prévaut de bout en bout ! C'est particulièrement vrai de Juan Diego Flórez... dont le chant est, par bonheur, délectable. Elégance suprême du phrasé, musicalité sans faille, aigus d'une assurance confondante, plus arrondis et denses que naguère, volume idéalement flatté par la prise de son, le jeune romantique libertaire, au demeurant plus lyrique que martial, accomplit un sans-faute stylistique. Elégance d'un Nourrit, sans la carrure et les graves de celui-ci ? Arrogance d'un Duprez, dont l'ut «de poitrine» ne fut jamais qu'un mélange des registres, solaire mais vite caricaturé en appui de stentor ? Notre Péruvien est infiniment préférable en tout cas aux mignardises d'un John Osborn couvé par Pappano, comme aux cris de chapon sidérants d'un Merrit chez Muti, qui plus est en italien alors que Flórez ose un français exemplaire. L'excellente Mathilde de Marina Rebeka, élève de Grace Bumbry initiée à Rossini par Alberto Zedda, est un ravissement. Son soprano corsé plié à une vocalisation d'école, sa fougue, appellent une ovation à partager avec la touchante et si juste Amanda Forsythe en Jemmy. Une fois encore Nicola Alaimo déçoit par sa nonchalance. Autour on force un peu le trait, dans un idiome peu compréhensible. La direction de Mariotti, tonique et souple à souhait, catalyse la réussite musicale de cette excitante reprise. 

J.C.