Sir John Tomlinson (Barbe-Bleue), Michelle Deyoung (Judith), Juliet Stevenson (Narrateur), Orchestre Philharmonia, direction Esa-Pekka Salonen.
CD Signum Classics SIGD 372. Distr. UVM Distribution.


On se doutait bien qu'Esa-Pekka Salonen ne dirigerait pas Le Château de Barbe-Bleue de tout le monde. Les grandes versions discographiques sont souvent dues à des chefs associés au grand répertoire du XIXe et à la fosse des opéras - même Pierre Boulez, d'une certaine façon. Quand ils sont hongrois, ils donnent à la musique de Bartók une touche très spécifique, qu'on ne trouve pas chez les autres. Salonen ne correspond à aucun de ces critères, d'où l'intérêt de cette approche. Le chef finlandais, qui prend son temps, ne crée pas l'atmosphère ténébreuse et oppressante caractéristique de certaines lectures, il éclaire les textures, construit progressivement son interprétation, souligne tout ce qu'il y a d'impressionniste dans l'orchestre ou, à l'opposé, de violence à la Stravinsky. L'obscurité, chez lui, devient transparente et le Philharmonia, avec ses sonorités lissées, épouse magnifiquement ses intentions. Il aurait seulement mérité des solistes plus éloquents. Michelle Deyoung se soucie plus de faire valoir l'opulence de son mezzo que de traduire le trouble de Judith et joue la carte du grand opéra, pas toujours très scrupuleuse sur la restitution des nuances. Quinze ans après la version Haitink, John Tomlinson accuse la fatigue de l'âge : instable vocalement, le timbre grisé, le duc a perdu sa puissance inquiétante, proche d'un Wanderer chenu et résigné. On n'aurait pas dû, non plus, laisser réciter l'introduction en anglais. Un Château de Barbe-Bleue à classer... au rayon orchestre.  

D.V.M.