Reportée deux fois en raison de la crise sanitaire, cette production de La traviata a d’abord été créée à Winnipeg en 2018 avec Angel Blue en Violetta, puis donnée dans plusieurs villes de l’ouest canadien avant de pouvoir enfin prendre l’affiche à Montréal. Devant l’élégance et le raffinement d’un spectacle où tous les éléments s’harmonisent parfaitement, il ne fait aucun doute que l’attente du public québécois a été amplement récompensée.

Le metteur en scène Alain Gauthier a fait le choix de déplacer l’action pendant les Années folles et de confier le rôle-titre à une chanteuse noire, en une sorte de clin d’œil à Joséphine Baker. L’héroïne semble donc faire carrière dans le music-hall, comme peuvent le suggérer pendant le prélude du premier acte sa tenue vestimentaire et sa descente majestueuse d’un escalier monumental en direction de sa loge. Là s’arrête à quelques détails près une transposition qui, sans être aucunement gênante, nous donne de surcroît l’occasion d’admirer de splendides costumes dessinés par Christina Poddubiuk. Également responsable de la scénographie, cette dernière a conçu un somptueux décor qu’elle sait transformer de façon fort habile selon les différents lieux de l’intrigue. Particulièrement heureux nous apparaît le salon chez Flora, où de riches tentures cramoisies camouflent les larges baies vitrées qu’on découvre dans les autres tableaux. D’une sobriété très juste dans les scènes d’intimité, la mise en scène d’Alain Gauthier s’avère extrêmement dynamique et inventive dans les scènes de foule, le chœur participant avec beaucoup de naturel et d’exubérance aux festivités chez Violetta d’abord, puis chez Flora.

D’une beauté sculpturale, la soprano américaine Talise Trevigne campe une héroïne aux attitudes d’une grande noblesse et au chant généreux en demi-teintes ravissantes, notamment dans les duos avec Alfredo. Relativement à l’aise dans la virtuosité du premier acte, elle révèle la pleine mesure de son tempérament dramatique par la suite, malgré une certaine retenue intermittente. Il faut probablement en imputer la faute à un instrument délicat et au volume sonore réduit qui ne peut rendre tout à fait justice aux passages les plus exposés comme dans « Amami, Alfredo » et le grand concertato du troisième tableau. Remplaçant à quelques jours d’avis Rame Lahaj, Antoine Bélanger fait preuve d’un professionnalisme remarquable. Il ne possède certes pas le timbre le plus envoûtant ni une gamme très étendue de couleurs vocales, mais son Alfredo force le respect par sa probité musicale. L’acteur manque cependant de flamme et l’on aimerait sentir davantage la passion amoureuse, entre autres au moment des retrouvailles où les deux amants sont bien peu démonstratifs. Plus convaincant qu’en Rigoletto, dans cette même salle Wilfrid-Pelletier en 2018, James Westman fait entendre en Germont une voix sonore et bien timbrée, mais à l’homogénéité laissant à désirer. Il n’en impose pas moins un personnage tour à tour autoritaire, compatissant et enfin dévoré par les remords. Parmi les comprimari, la Flora d’Ilanna Starr et le marquis d’Obigny de Geoffrey Schellenberg font preuve d’un bel abattage scénique et vocal. En excellente forme, le chœur prend un plaisir manifeste à jouer les gitanes et les matadors. À la tête de l’Orchestre Métropolitain, Jordan de Souza met bien en valeur les subtilités de la partition et sait faire chanter les cordes avec un lyrisme déchirant, mais sa direction, par moments languissante, manque un peu de tonus. Cela dit, cette traviata constitue assurément une des plus belles réussites des dernières saisons de l’Opéra de Montréal.


L.B


© Vivien Gaumand