Magdalena Kožená (Alcina), Erin Morley (Morgana), Anna Bonitatibus (Ruggiero), Elizabeth DeShong (Bradamante), Alois Mühlbacher (Oberto), Valerio Contaldo (Oronte), Alex Rosen (Melisso), Les Musiciens du Louvre, dir. Marc Minkowski.

Pentatone (3 CD). 2023. 3h12. Notice en français. Distr. Pentatone.

Au sein de la vidéographie maigrichonne d’Alcina, la version dirigée par Minkowski (Vienne 2011) s’imposait par sa chaleur communicative. Le chef français aime manifestement l’œuvre, dont il nous livre aujourd’hui une véritable intégrale discographique (seul l’air additionnel « Bramo di trionfar » a été écarté), d’un grand équilibre.

Ici, c’est un lyrisme éperdu qui domine, grâce à des phrasés larges (« Di, mio cor »), une pulsation organique (« Mi lusinga » ; « Mi restano le lagrime »), des contrastes vifs mais naturels (les airs de Bradamante, d’une rapidité périlleuse), un jeu sur l’accélération (« Mio bel tesoro », bercé par le théorbe de Yasunori Imamura) ou le rubato (« Ama, sospira », auréolé du poétique violon d’Alice Piérot) qui animent le discours sans le bousculer. Dans les airs, l’Italie chante de toute son âme tandis que la « patte française »  de Minkowski et son expérience du répertoire symphonique, notamment de Haydn, confèrent aux ballets beaucoup de caractère. Une direction d’une grande maturité, donc, théâtrale (« Sta nell’ircana » !) mais maîtrisée, sachant cacher l’art par l’art (l’ornementation des arie, fine sans être appliquée).

Il n’y manque qu’une dimension : l’humour, le second degré, jamais très éloignés, chez le Saxon, particulièrement dans cette tragi-comédie conjugale déguisée en opéra magique. On aurait aimé plus de légèreté (fin de l’Ouverture, airs d’Oronte), de piquant, d’ironie (les sous-entendus de Ruggiero) mais ce serait reprocher au chef d’avoir effectué un choix interprétatif, impeccablement tenu. Les effectifs orchestraux importants (plus de quarante musiciens) dictaient d’ailleurs cette approche, qui permet de fort beaux effets (les cordes fantomatiques d’ « Ombre pallide ») mais entravent la virtuosité (« è gelosia »).

La distribution vocale participe de cette cohérence, du fait de son homogénéité – peut-être excessive puisque les voix d’Alcina, Ruggiero et Bradamante, confiés à trois mezzo-sopranos, se confondent parfois. Mais Kožená a-t-elle jamais été une mezzo ? Son récital Händel, où elle forçait ses moyens dans des pages trop graves (Archiv, 2007), ne nous en convainquait pas. Il s’ouvrait sur un chichiteux « Ah, mio cor », très inférieur à celui, sobre et habité, que l’on entend ici. La tessiture d’Alcina, si elle l’éprouve parfois (« Si, son quella ») met en valeur l’ampleur du haut médium, la longueur de la ligne et l’intensité fiévreuse d’une incarnation qui n’achoppe que sur une diction encore floue. Divine mezzo, pour le coup, Bonitatibus a peut-être été captée un peu tard et son Ruggiero pourra sembler par trop sévère ; mais quel beau grain, quelle maîtrise du vibrato, des sons filés, et quelle intelligence dans la simplicité (« Verdi prati ») ! Confier à un contre-ténor le rôle d’Oberto, écrit pour un garçonnet, pourrait passer pour un maniérisme si le chant androgyne et candide de Mühlbacher ne faisait de cette option une évidence. Morley et DeShong se distinguent par leur musicalité, leur brio davantage que par leurs timbres, assez neutres, tandis que Rosen campe un Melisso viril mais clair. Seul Contaldo, voix corsée que l’on a tant aimée dans Monteverdi, se montre peu en phase avec l’hédonisme haendélien.

En dépit de son premier degré trop constant, cette version prend désormais la tête d’une discographie d’Alcina peu fournie, où reste de la place pour des lectures plus ludiques.


O.R