Serena Farnocchia (Elisabetta), Patrick Kabongo (Leicester), Mert Süngü (Norfolc), Luis Aguilar (Guglielmo), Mara Gaudenzi (Enrico), Veronica Marini (Matilde). Cracow Philharmonic Orchestra, Cracow Philharmonic Chorus, dir. Antonino Fogliani. Enregistrement en 2021 à Cracovie et Bad Wildbad.

Naxos 8660538-39 5 (2 CD). Distr. Outhere.

 

Ce dramma per musica, créé en 1815 et repris de nos jours de manière épisodique, de Buenos Aires à Marseille ou au Château de Versailles via le festival de Pesaro, n’est pas le plus populaire des ouvrages rossiniens. L’enthousiasme qui consacrait l’accession du compositeur au mythique San Carlo de Naples avait à l’époque surpris, tant cette partition haletante conjuguait l’ancien et le nouveau, les audaces et la tradition, le lyrisme et la virtuosité du bel canto. Le drame nourri des aventures du Comte Leicester, favori de la reine Elisabeth I mais ayant convolé avec une certaine Matilde, fille de Marie Stuart, aimantée par le trône d’Angleterre qu’elle convoite, bénéficiait d’une distribution superlative. Sa protagoniste, Isabella Colbran, prima donna assoluta, mezzo-soprano dotée d’un registre aigu flirtant avec le contre-mi et par ailleurs future épouse du musicien, brûlait de surcroît les planches du théâtre. À ses côtés, le Leicester d’Andrea Nozzari partageait avec icelle le privilège d’une couleur vocale centrale mais aisément ténorisante, face au personnage du traître Norfolc campé par le mythique Manuel Garcia riche des mêmes atouts. Outre leur excellence vocale, ces interprètes se pliaient les premiers aux récitatifs avec accompagnement initiés par le cher Gioachino, exigeant l’intime fusion du dire et de son idéalisation musicale.


Nombre de nos Elisabetta ayant  présumé de leurs limites à l’épreuve de cet emploi piégeux, à commencer par une Montserrat Caballe un rien égarée dans les aigus dardés ou l’ornementation fiorita, nous n’accablerons point la cantatrice chevronnée Serena Farnocchia, éclectissime au possible, donnant le meilleur d’elle-même dans le Don Carlos verdien, tel ou tel Mozart ou Puccini et choisie par Alberto Zedda, rossinien absolu, pour illuminer son Stabat Mater. Nous aurions cependant apprécié de l’entendre alterner les assauts aigus du premier acte et les langueurs du soprano angelicato du second avec une meilleure pondération du forte, une vocalisation préservée d’effets tyroliens, des voyelles mieux couvertes. Familier de ce répertoire, Antonino Fogliani, maestro direttore, ici divers au possible, aurait gagné à se montrer en l’occurrence tout autant maestro concertatore, attentif à ce péché non véniel de ses chanteurs dont les a ouverts et plats, infligés par la quasi-totalité de la distribution, sont une offense à l’esthétique du bel canto rossinien. Ses  ténors sont ici visés, dont la rondeur barytonale supposée, pourtant constitutive, a été soulignée précédemment. On craignait à son entrée que le médium de la Matilde campée par Veronica Marini, bellinienne et donizettienne appréciée, ne vienne à se dérober. La suite l’éclaire d’un jour plus flatteur, tout comme la mezzo Mara Gaudenzi en travesti dévolue au rôle mineur d’Enrico, frère de la précédente. Allez, ne boudons pas notre plaisir d’ajouter à la dizaine de gravures de cette œuvre attachante, dominée par celle confiée à Leyla Gencer, la présente, quelles qu’en soient les faiblesses, auxquelles échappent un orchestre et des chœurs pourtant si peu idiomatiques.

 

J.C