Elodie Fonnard (Alcimadure), François-Nicolas Geslot (Daphnis), Fabien Hyon (Jeanet), Hélène Le Corre (Clémence Isaure), Les Passions, orchestre baroque de Montauban, Les Eléments, dir. Jean-Marc Andrieu.

Ligia Digital (2 CD). 2023. 2h06. Notice en français. Distr. Socadisc.

Un an et demi après le merveilleux Titon et l’Aurore, Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville présentait la « pastorale languedocienne » Daphnis et Alcimadure (1754), non à l’Académie royale de musique (où elle fut bientôt reprise) mais au théâtre du château de Fontainebleau. Mondonville renouait ainsi avec le genre du divertissement de cour, tout en surfant sur la mode rustique que venait de lancer Rousseau avec son Devin de village  créé exactement au même endroit deux ans plus tôt.

La mince intrigue ne fait appel, comme celle du Devin, qu’à trois personnages : le berger Daphnis en pince pour l’indifférente Alcimadure, dont il ne gagne le cœur qu’en feignant de mourir, avec l’aide de son ami Jeanet. Natif de Narbonne, Mondonville a lui-même rédigé le livret (comme Rousseau celui du Devin), en langue occitane pour les trois actes principaux, en français pour le prologue, qui retrace l’invention des jeux floraux de Toulouse par Clémence Isaure. Enfin, comme Rousseau, Mondonville s’inspire occasionnellement de véritables airs populaires tout autant que du style napolitain des Bouffons (sans se priver de parodier Rameau en citant Hippolyte et Aricie : « Oh, secours superflu/hélas Daphnis n’est plus »).

La comparaison entre les deux œuvres s’arrête là, la partition de Mondonville s’avérant beaucoup plus exigeante que celle de son prédécesseur : dès la tempétueuse ouverture, l’orchestre est mis à l’épreuve ; dès le prologue, le chœur doit faire face à des pages tendues (« Que ta gloire vole et s’étende ») ; quant aux trois protagonistes, rien ne leur sera épargné, en dépit de la brièveté des airs, qui n’outrepassent guère les trois minutes. Il faut dire que l’ouvrage était destiné à trois pointures, elles aussi originaires du sud-ouest : l’ineffable haute-contre Jélyotte (Daphnis), la scintillante soprano Fel (Alcimadure) et le ténor La Tour (Jeanet), qui avait créé le rôle-titre de Platée cinq ans plus tôt.

La dichotomie se manifestant entre les exigences de la musique et la minceur du propos ne facilitait pas l’exhumation d’une œuvre, qui, en dépit de l’inventivité mélodique propre à Mondonville, paraît parfois trop longue. Andrieu et son ensemble (une vingtaine de musiciens, c’est-à-dire moitié moins qu’à l’Académie royale) la rendent avec sensibilité, dosant finement le mélange d’élégance rococo et de robustesse occitane, même si les enchaînements auraient gagné à être plus rapides, la symétrie des récitatifs (le point faible du compositeur) un peu bousculée et l’étrangeté de certaines danses accentuée. Les parties instrumentales ont été habilement complétées (avec des percussions bien distribuées), violons et flûtes, confrontés à une écriture redoutable, font vaillamment face, tout autant que le joli chœur de Joël Suhubiette.

Des trois solistes, c’est Hyon qui convainc le mieux, malgré un timbre nasal de ténor de caractère : sa chasse au loup et sa parodie d’air belliqueux au début de l’acte II donnent un coup de fouet au propos. Fonnard ne manque pas de charme et réussit l’entrée ornithologique d’Alcimadure (« Gasolhatz, auselets », souvent gravée) mais le manque d’appui dans le grave raidit les pages dramatiques. Confronté à la partie la plus riche et la plus difficile, Geslot fait montre d’émotion et de suavité (« D’un pichot trait », « Qui pagalo tribut »), tout en peinant aux deux extrémités du registre. 

Une lecture non dépourvue de fragilités, donc – en harmonie avec une partition peu conventionnelle. On notera le soin apporté à l’édition, qui reproduit le livret en trois graphies et une passionnante notice de Bernadette Lespinard.

 

O.R