Retour à Bastille d'Adriana Lecouvreur dans la mise en scène de David McVicar, le velours le dispute au brocard, les chandeliers au stuc, et le théâtre dans le théâtre nous donne à voir les coulisses du Français autant que la scène du grand monde aristocratique. C'est simple, ultra-lisible, sans finesse et sans charme, d'une efficacité qui ne bouscule rien. Outre un décor et des costumes qui sonnent faux (n'est pas Ezio Frigerio qui veut), cette reprise interpelle par l'absence totale de direction d'acteurs, enfermés dans une succession de postures convenues... Dans une pièce dont la toile de fond est le théâtre et l'objet sa confrontation avec les usages (pas moins codifiés) de l'aristocratie, on pouvait attendre sinon de l'audace plus d'esprit d'à-propos.

Il faut pourtant courir écouter cette Adriana, d'abord pour la direction attentive et subtile de Jader Bignamini, qui décline l'énergie théâtrale dans une palette variée : les dialogues qui fusent au I, l'urgence du II, la pompe splendide et contenue du III (superbe exécution du ballet), et encore le crépuscule du IV. Anna Netrebko propose une Adriana mûre, adaptée à ses opulents moyens vocaux qui étincellent désormais dans le grave. La voix présente ainsi des couleurs cuivrées – si bien qu'on se demande parfois qui est plus mezzo de la tragédienne ou de la princesse –, la ligne est châtiée et le texte parfaitement intelligible à défaut d'être vraiment joué. Conséquence réelle ou illusion perceptive ? Les aigus – toujours délicatement filés quand il le faut – semblent relativement moins lumineux qu'autrefois. Ekaterina Semenchuk est une princesse classieuse, aux registres homogènes et bien soudés, altière, y compris dans sa haine et son mépris. Yusif Eyvazof (Maurizio) n'a pas la voix séduisante du jeune premier, mais la ligne est appliquée, le phrasé travaillé et les nuances propres font oublier quelques aigus en force. Le Michonnet d'Ambrogio Maestri touche, il est le seul à avoir les mots et le fraseggio – langue maternelle oblige – il prodigue aussi les couleurs et le caractère du personnage.

L'ensemble est cohérent et bien mené – avec un réel partage d'intentions musicales –, on goûte avec bonheur les délices de cette œuvre toute de sensualité et de drame.

 

J.C



© Sébastien Mathé