Erwin Schrott (Selim), Olga Peretyatko (Fiorilla), Nicola Alaimo (Geronio), René Barbera (Narciso), Pietro Spagnoli (Prodoscimo), Cecilia Molinari (Zaida), Pietro Adaini (Albazar), Choeur du Teatro della Fortuna M. Agostini, Filarmonica Gioachino Rossini, dir. Speranza Scappucci, mise en scène : Davide Livermore (Pesaro 2016).
2 DVD C Major 762508. Notes et synopsis en anglais, allemand et français, sous-titrage en français. (171 min.) Distr. DistrArt Musique.
 
Davide Livermore aime le cinéma et y fait souvent référence dans ses mises en scène. On se souvient de son extraordinaire Ciro in Babilonia de 2012, transformé en péplum des grandes années du muet italien dans une esthétique mélangeant Art Déco et antiquité assyrienne et dans des décors entièrement virtuels créés à vue par les vidéos du collectif D-Wok. Dans cette production du Turc en Italie également présentée au Rossini Opera Festival en 2016, c’est à l’univers de Fellini qu’il emprunte ses personnages. Le rôle-titre nous renvoie au Sheikh blanc, un film sur la fascination du monde du cinéma, mais on reconnaîtra aussi Huit et Demi dans le poète Prodoscimo transformé en clone de Marcello Mastroianni, rythmant le finale du premier acte avec son fouet, puis apparaissant comme une sorte de double du cinéaste dans le deuxième acte qui nous met au cœur d'un tournage. Un ensemble de huit figurantes rappelle diverses figures féminines du maître de Rimini parmi lesquelles la « femme sauvage » d'Amarcord, omniprésente, représentant sans doute le visage inquiétant du désir féminin, comme une sorte de double monstrueux de l'héroïne.

Tout cela n’entretient qu’un rapport très lointain avec le livret de Romani et manque de cohérence interne. Pourtant, au-delà de l’anecdote et de l'amusant jeu de devinettes, la transposition parvient à créer des figures plutôt crédibles et, passé un premier acte un peu laborieux car trop chargé en références, trouve sa justification dans une direction d'acteurs que sert particulièrement bien la captation vidéo, révélant des subtilités que la caractère « folklorique » de la production occultait un peu en direct.
 
L'ensemble est servi par une distribution proche de l'idéal. En Selim, Erwin Schrott se révèle particulièrement à l'aise dans le chant orné, avec une voix généreuse et puissante, et joue à merveille dans un second degré plein de sous-entendus son personnage de bravache pusillanime. Lui répond le subtil Geronio de Nicola Alaimo incarnant les maris dépassés avec beaucoup de finesse. Olga Peretyatko, dans la plénitude de ses moyens, se révèle une Fiorilla piquante, lumineuse et sensuelle, d'une élégance stylistique et d'une virtuosité à toute épreuve. Son incarnation culmine dans son grand air seria du deuxième acte où elle se dépasse en même temps que son personnage de femme légère avec un sens inné du pathos. Le Don Narciso de René Barbera, transformé en prêtre, est un parangon de ténor rossinien auquel ne manque qu'un peu plus de charme dans le timbre. Quant à Pietro Spagnoli, il réussit à donner un relief et une présence remarquables à Prodoscimo, un rôle auquel, à part le trio masculin du premier acte, Rossini n'a consenti que des récitatifs. Enfin, Cecilia Molinari, transformée en femme à barbe, offre à Zaida son mezzo moelleux à souhait et Pietro Adaini en travesti chante avec une belle énergie le petit air de sorbetto d'Albazar tandis que le changement de décor ne cesse de le chasser. Inégal, le chœur de Teatro della Fortuna de Fano (évoquant Les Clowns du cinéaste) et plutôt piétonnière la direction appliquée de Speranza Scappucci sont les maillons faibles d'une production qui gagne à être revue sous un nouvel angle et qui a le mérite de donner à entendre la partition sans la moindre coupure.

A. C