© Marilena Imbrescia

Dans sa production de Lucia di Lammermoor pour le Macerata Opéra Festival, Jean-Louis Grinda a tenu à respecter le caractère « écossais » du livret, évoquant la nature sauvage de la lande et la présence de la mer par de belles projections vidéo sur l’immense mur du Sferisterio. À chaque tableau sa toile de fond mouvante, depuis la « chasse à l’homme » de la première scène jusqu’au château délabré des aïeux d’Edgardo et ses pierres tombales, en passant par le rendez-vous des amants à la fontaine, devenue ici une cascade que le metteur en scène récupérera pour la scène de la folie de l’héroïne. Toutefois, si les kilts sont encore présents, ce sont plutôt les redingotes et les capelines de l’époque de la création qui dominent dans les costumes. Plus qu’une simple victime, sa Lucia, habillée en homme, est une femme en quête de liberté, une petite sœur de George Sand, d’après ses propres termes. L’idée certes est forte et séduisante mais l’interprète choisie peine un peu à l’incarner, au moins vocalement. Le soprano lyrique de Ruth Iniesta manque un peu de corps dans le médium pour s’imposer tout à fait dans cette conception et dans l’acoustique difficile de l’immense vaisseau. Elle se réfugie souvent dans une mezza voce peu audible et paraît souvent écrasée par ses partenaires dont les capacités de projection sont nettement plus adaptées au lieu. Avec le choix d’une version basée sur l’édition critique (qui n'exclut pas quelques coupures dans les reprises), sa scène de la folie reste incontestablement son meilleur moment. La cadence où elle ajoute quelques ornements de son crû, moins démonstratifs que ceux de la tradition, accompagnée par le glass harmonica, y prend un caractère plus mélancolique que délirant qui convient à sa voix légère et délicate à l'aigu facile. Lui répond l’Edgardo vaillant mais peu nuancé de Dmitry Korchak à qui l’héroïsme du finale du premier acte et le duo de Wolfcrag siéent mieux que l’élégie douloureuse de la scène finale. L’élément le plus fiable de la distribution reste l’Enrico de Davide Luciano, splendide voix de basso cantante à qui ne manque peut-être qu’un supplément de mordant pour incarner à la perfection le frère tyrannique de Lucia, que le metteur en scène refuse de voir comme un personnage uniformément négatif. La basse de Mirco Palazzi manque de stabilité et paraît souvent un peu forcée, aux limites de la justesse. Avec un timbre lumineux d'authentique ténor lyrique, Paolo Antognetti apporte à Arturo la jeunesse et la noblesse voulues pour ce personnage par qui le drame arrive. Une excellente Alisa (Natalia Gavrilan) et le Normanno parfaitement chafouin mais vocalement un peu fatigué de Gianluca Sorrentino complètent cette distribution très cohérente.

À la tête de l'orchestre philharmonique des Marches et du chœur lyrique « V. Bellini », Jordi Bernàcer opte pour des tempi assez lents, sans doute pour éviter le brouillage possible dans l’acoustique très réverbérée de l’arène elliptique. L’ensemble – mise en scène et interprétation – convainc pleinement et offre l’agréable surprise d’entendre, fait assez rare, une version authentique du chef-d’œuvre de Donizetti. Coproduite par les Chorégies d’Orange, la production devrait être reprise au théâtre antique pour l’édition 2024.

A.C

A lire : notre édition de Lucia di Lammermoor/L'Avant-Scène Opéra n° 233
Ruth Iniesta (Lucia). © Marilena Imbrescia