Giovanni Sala (Tebaldo), Walter Zeh (chef des choeurs), Aigul Akhmetshina (Romeo), Marco Armiliato, Elsa Dreisig (Giulietta), Roberto Tagliavini (Lorenzo), Michele Pertusi (Capellio), Mozarteumorchester Salzbourg, Philharmonia Chor de Vienne. © SF / Marco Borrelli

1830 année romantique. À Paris, Victor Hugo déchaîne les passions avec Hernani car il a explosé les cadres formels, et son sujet mêle intrigue amoureuse et politique pour une issue tragique. En Italie, Bellini n’engendre pas de bataille, néanmoins il embrasse résolument le romantisme, dont les élans dramatiques et les clairs-obscurs structurent la partition de I Capuleti e i Montecchi. Le bel canto y jette des feux encore brillants, mais Bellini s’émancipe de Rossini et donne une plus grande place au sentiment. Sans mise en scène et malgré un nombre de répétitions évidemment insuffisant, les artistes ont su faire honneur à l’esprit et à la lettre du romantisme bellinien.

Régional de l’étape, l’orchestre du Mozarteum de Salzbourg n’a pas les splendeurs du visiteur viennois, mais il assure sa partie avec solidité – parfois un rien de routine – et compte dans ses rangs de beaux solistes (on pense à la clarinette solo, dont le nom n’apparaît pas dans le programme). Sous la direction de Marco Armiliato, rompu à l’accompagnement des chanteurs et connaissant ce répertoire par cœur, le Mozarteumorchester, un peu bousculé, se métamorphose en véritable orchestre de théâtre. Le chef assume des tempos rapides, il y a urgence à s’aimer et à se battre dans cette Vérone où s’affrontent Guelfes et Gibelins, et sait aussi détendre la pulsation. Surtout il se révèle un incroyable chef d'orchestre par son aptitude à façonner le discours musical au fil de l’eau et à agir sur l’orchestre en direct. Ainsi, les couleurs, les atmosphères surgissent parfois avec quelques temps de retard, mais dans un tel jaillissement d'énergie que jamais le spectacle – bien vivant – n’en souffre. Les décalages, flottements et approximations révèlent le peu temps dont ont disposé les artistes pour préparer ce concert, mais il n’est pas une perturbation que le chef n’a su résoudre rapidement.

Tout entier concentré autour de Roméo et Juliette, l’opéra ne laisse que peu de place aux trois autres rôles, à l’exception de l’entrée de Tebaldo. Giovanni Sala prête sa belle voix souple aux accents amoureux puis belliqueux de l’époux choisi pour Juliette, livrant une bonne prestation à laquelle ne manque qu’un surcroît d’éclat pour capter l’arrogance du personnage. En très grande forme, Michele Pertusi campe un Capellio autoritaire, réussissant à relever le personnage de son simple statut d’utilité, et Roberto Tagliavini fait de même en Lorenzo paternel.

Elsa Dreisig et Aigul Akhmetshina faisaient leurs débuts dans leurs rôles respectifs. La seconde impressionne dès son entrée en scène : voix ample et sans soudure, on comprend rapidement – on découvre l’artiste ce soir-là – qu’elle possède largement les moyens pour ce rôle exigeant où Bellini a défriché des territoires vocaux nouveaux. De la douceur à la vaillance, du canto di sbalzo à la vocalisation la mezzo est à l’aise, distillant de superbes couleurs d’un timbre onctueux et moiré, jouant de l’ombre comme de la lumière. Même son italien manquant de netteté et la prosodie d’idiomatisme, ne sauraient obérer le complet éblouissement où elle nous plonge.

À peine deux mois après sa première Juliette, Elsa Dreisig débute en Giulietta, pourtant on ne saurait imaginer personnages plus opposés. L’amoureuse de Gounod est décidée et résolue à braver tous les obstacles pour vivre son amour, alors que celle de Bellini est hésitante, plus fragile et soumise à l’autorité paternelle. Si le bel canto n’est pas au centre du répertoire de la soprano franco-danoise elle y revient régulièrement ; depuis son Elvira des Puritains en 2019, nous avons pu apprécier combien chacune de ses incursions dans ce répertoire (Anna Bolena en 2021, Maria Stuarda en 2022) se double d’un profond travail que révèle la maîtrise croissante du style. Avec Giulietta, Elsa Dreisig touche au plus proche de cet art délicat, le crescendo initial de son « Eccomi » l’annonce, les vocalises sont réalisées avec une grande souplesse et semblent désormais faciles, seules quelques tensions – dans sa première scène, puis se dissipant progressivement avant de disparaître tout à fait à la fin du premier acte – se font l’écho d’une nervosité visible de l’artiste (alors convalescente a-t-elle ensuite annoncé sur les réseaux sociaux) qui effectue sa prise de rôle. Jouant de la grâce et des incertitudes du personnages, soignant le son et le souffle, Elsa Dreisig signe une interprétation touchante et d’une grande délicatesse.

Déjà passionnante et émouvante, cette première soirée a « essuyé les plâtres » avec le brio des représentations où le spectacle semble se cristalliser en scène. Gageons que la seconde représentation – ce soir – sera parfaitement scintillante.

J.C.

         À lire : Les Capulets et les Montaigus / Avant-Scène Opéra n°122


Giovanni Sala (Tebaldo), Walter Zeh (chef des choeurs), Aigul Akhmetshina (Romeo), Elsa Dreisig (Giulietta), Marco Armiliato, Roberto Tagliavini (Lorenzo), Michele Pertusi (Capellio), Mozarteumorchester Salzbourg, Philharmonia Chor de Vienne. © SF / Marco Borrelli