Ambur Braid (Stephana), Alexander Mikhailov (Vassili), Fredrika Brillembourg (Nikona), Scott Hendricks (Gleby), Clarry Bartha (la jeune fille/la vieille femme), Omer Kobiljak (le prince Alexis), Manuel Günther (Ivan/le cosaque), Michael Mrosek (Miskinsky/l’invalide), Unnsteinn Árnason (Walinoff/le gouverneur), Stanislav Vorobyov (le capitaine/le garde), Rudolf Medňanský (le sergent). Orchestre symphonique de Vienne et Chœur philharmonique de Prague, dir. Valentin Uryupin, mise en scène : Vasily Barkhatov (Festival de Bregenz, 2022).
C major 763004. Notes et synopsis en français, sous-titres anglais et allemands. Distr. DistrArt Musique.

Bénéficiant d’un regain d’intérêt depuis une trentaine d’années, Siberia (1903) faisait l’an dernier une entrée tardive dans la vidéographie avec une version filmée à Florence dans laquelle la présence de Sonya Yoncheva ne réussissait pas vraiment à racheter une mise en scène peu inspirée du cinéaste Roberto Andò (Dynamic). Au Festival de Bregenz, Vasily Barkhatov propose un spectacle à l’esthétique souvent séduisante, mais superpose de façon artificielle deux actions que séparent plusieurs décennies. Au drame de la courtisane Stephana et de son amoureux Vassili déportés en Sibérie, il ajoute en effet l’histoire de leur fille qui, au soir de sa vie, se rend à Saint-Pétersbourg pour effectuer des recherches sur ses parents et dont la route se poursuit jusqu’à leur ancien camp de travail, où elle va disperser les cendres de son frère. Si de courts films projetés pendant les chœurs ou les passages orchestraux permettent de comprendre la teneur de cette action surajoutée, il faut avouer que cette trame embrouille inutilement le livret d’Illica. Et c’est grand dommage, car quelques images marquantes s’impriment durablement dans notre mémoire, comme celle des archives de l’administration russe, où la lourdeur bureaucratique est symbolisée par de gigantesques bibliothèques remplies de paperasse qui s’entrouvrent pour laisser voir l’immensité des steppes sibériennes où se jouera le destin du couple Stephana-Vassili.

À la tête d’un Orchestre symphonique de Vienne en grande forme, Valentin Uryupin ne peut certes pas rendre transcendante la partition assez inégale de Giordano ; il atteint toutefois à des sommets d’intensité dramatique dans les grands élans passionnés des deux amoureux, dans les déferlements orchestraux et les magnifiques pages chorales qui ajoutent une dimension spirituelle à un drame qui n’est pas sans rappeler le roman Résurrection (1899) de Tolstoï. Le Chœur philharmonique de Prague se montre pour sa part exemplaire de nuances et de sensibilité dès le superbe « Godi dunque il tuo sole » au tout début de l’œuvre et dans le poignant « Malori ! Dolori ! » qui reprend l’air de la chanson Les Bateliers de la Volga. Au sein d’une distribution sans faille, la Canadienne Ambur Braid fait figure de révélation : voix ample d’une parfaite homogénéité, intelligence musicale, fort tempérament scénique, tout est réuni pour faire de sa Stephana une incarnation majeure. Parfois un peu brut de décoffrage, Alexander Mikhailov campe néanmoins un Vassili qui emporte l’adhésion par son chant vigoureux et l’éclat insolent de ses aigus. Scott Hendricks ne lui cède en rien en Gleby cauteleux à souhait, qui, après avoir été le proxénète de Stephana à Saint-Pétersbourg, devient en Sibérie l’agent de son malheur. N’ayant à chanter que quelques phrases, la vieille femme de Clarry Bartha fait montre d’un indéniable talent pour la pantomime qui, avouons-le, est ici plutôt envahissante. Des rôles secondaires se distinguent le prince Alexis d’une belle assurance vocale d’Omer Kobiljak et surtout la splendide Nikona de la mezzo américaine Fredrika Brillembourg. Au final, ce nouveau DVD se compare avantageusement à la version précédente, mais ne saurait constituer la référence que l’on espère.

L.B