Carlos  Álvarez (Rigoletto), Lisette Oropesa (Gilda), Liparit Avetisyan (le duc de Mantoue), Brindley Sherratt (Sparafucile), Ramona Zaharia (Maddalena), Eric Greene (Monterone), Kseniia Nikolaieva (Giovanna), Dominic Sedgwick (Marullo). Orchestre et chœur du Royal Opera House, dir. Antonio Pappano, mise en scène : Oliver Mears (Londres, septembre 2021).
Opus Arte OABD7303D. Synopsis anglais, sous-titres français. Distr. DistrArt Musique.
 
En 2001, David McVicar créait la sensation à Covent Garden avec un Rigoletto de chair et de décadence qui offrait une vision à la fois percutante et extrêmement juste du drame de Verdi. Vingt ans plus tard, Oliver Mears propose une mise en scène plus convenue qui laisse néanmoins une impression d’ensemble favorable. La cruauté du sujet est manifeste dès le lever du rideau, avec un tableau vivant assez saisissant où le duc, coiffé d’une tête de taureau aux longues cornes, s’apprête à transpercer de son épée le corps d’une jeune femme habillée de blanc. Vêtus de costumes tenant à la fois de la Renaissance et de l’époque contemporaine, les courtisans de Mantoue évoluent dans le palais d’un esthète, ou à tout le moins d’un collectionneur, puisque leur maître possède deux chefs-d’œuvre du Titien, la Vénus d’Urbin et L’Enlèvement d’Europe, qui envahissent pratiquement tout le mur du fond de scène au premier puis au troisième tableaux. De la maison de Rigoletto et de la taverne de Sparafucile, on ne découvre véritablement que la chambre de Gilda, puis celle de Maddalena, toutes deux situées à l’étage. Dans cet univers où la femme est la victime impuissante du pouvoir masculin, Maddalena elle-même souffre de sa condition, puisqu’elle éprouve le besoin de s’enivrer avant d’aller retrouver ses clients. Si la direction d’acteurs et les mouvements de foule sont soignés, Mears ajoute toutefois inutilement à l’horreur lorsque, à la fin du premier tableau, le duc fait ligoter Monterone et lui crève les yeux en un geste abominable rappelant celui que commet le duc de Cornouailles dans Le Roi Lear.
 
Sous la direction enfiévrée d’Antonio Pappano, dont on ne répétera jamais trop les éminentes qualités de chef lyrique, l’Orchestre du Royal Opera House offre un écrin somptueux à une équipe de chanteurs dominée par Lisette Oropesa. À la fois vulnérable et déterminée, sa Gilda inspire immédiatement la sympathie par sa délicatesse, la pureté de son chant et l’absence de toute affectation dans le jeu ou le chant. On pourrait certes souhaiter un peu plus de rondeur dans le suraigu, mais cela est bien peu de chose en regard d’une interprétation qui se situe à un niveau très élevé d’intelligence et de sensibilité musicales. À ses côtés, Carlos Álvarez impressionne par son abattage scénique et la projection de la voix, encore que celle-ci trahisse dorénavant les outrages du temps. Outre un grave peu solide, le registre supérieur marque des signes d’usure et le souffle semble parfois un peu court. Tout juste âgé de trente ans, le ténor Liparit Avetisyan campe un duc de Mantoue d’une belle prestance, qui, après avoir inspiré quelques réserves sur la subtilité de son chant dans les deux premiers actes, s’épanouit pleinement dans « La donna è mobile » et dans le quatuor, où l’artiste révèle la véritable mesure de son talent. Avec ses graves abyssaux, son phrasé souverain et son incarnation inquiétante à souhait, Brindley Sherratt est un Sparafucile de grand luxe, très bien secondé par la Maddalena à la voix opulente de Ramona Zaharia. Parmi les rôles secondaires, on remarque moins le Monterone au timbre rocailleux d’Eric Greene que le Marullo bien chantant et excellent comédien du baryton Dominic Sedgwick. Malgré la présence d’une Gilda d’exception, cette nouvelle production du directeur du Royal Opera House ne saurait en somme sérieusement entrer en concurrence avec le précédent DVD produit par l’institution londonienne (Opus Arte, 2001) et dans lequel Paolo Gavanelli se coulait avec une intensité peu commune dans la mise en scène de David McVicar.
 

L.B