Elizabeth Futral (Catherine), Vladimir Ognev (Pierre le Grand), Darina Takova (Praskovia), Aled Hall (Danilowitz), Christopher Maltman (Gritzenko), Juan Diego Flórez (Georges). Chœur du festival de Wexford, Orchestre national d’Irlande, dir. Vladimir Jurowski (live, Wexford, octobre-novembre 1996).
Naxos 8660498-500. Présentation trilingue. Distr. Outhere.
 
Il y a aussi un Meyerbeer léger, celui de L’Étoile du Nord et du Pardon de Ploërmel, ses deux opéras-comiques. Créé en 1854 à la salle Favart, le premier reprend des éléments du Camp de Silésie, un singspiel révélé à Berlin dix ans plus tôt. Mais l’histoire est différente, même si elle met un monarque au premier plan : à Frédéric II a succédé Pierre le Grand. Au premier acte, le tsar est déguisé en charpentier, comme dans Le Bourgmestre de Saardam de Donizetti (1827) ou Tsar et Charpentier de Lortzing (1837). Sur ses amours avec la paysanne Catherine se greffe une histoire de conspiration, qu’elle dévoile alors qu’elle s’est déguisée en soldat pour épargner l’enrôlement à son frère Georges. À la fin, elle est devenue folle, mais l’affleurement de souvenirs lui rend la raison et elle devient tsarine.
Le grand opéra contamine ici l’opéra-comique, avec ses grands ensembles, tel le final du II, digne du Prophète – le Serment, la Marche sacrée et le Pas redoublé sont joués par plusieurs orchestres en un impressionnant effet de spatialisation sonore. On trouve aussi des morceaux de genre, comme, toujours au II, les Chansons de la cavalerie et de l’infanterie, les Couplets des vivandières. Et l’œuvre s’achève sur une scène de folie pour soprano colorature n’ayant rien à envier à celles d’opéras plus célèbres – la cadence avec deux flûtes rappelant évidemment celle de la Lucia donizettienne. Meyerbeer joue brillamment sur les deux registres, déployant des trésors d’invention mélodique et sonore, aussi à l’aise dans le désopilant Chant bachique du II que dans la nostalgique Romance de Pierre au III. La partition, malheureusement, disparut assez vite et l’on en connaît surtout les extraits gravés par Joan Sutherland ou Diana Damrau, ainsi que les morceaux choisis par Constant Lambert pour constituer, avec des pages du Prophète, le ballet des Patineurs.   
En 1975, Opera rara avait enregistré une version de concert où manquait presque un tiers de l’œuvre et qui, malgré la Catherine de Catherine Rice, offensait les oreilles francophones. Deux décennies plus tard, le festival de Wexford restitue la quasi-intégralité de la partition, notamment la Polonaise de Danilowitz au I et son arioso au III. Seuls les dialogues ont été considérablement abrégés, ce dont on se réjouit, tant le français des interprètes est pénible à entendre dans des parties chantées trahissant une ignorance assez intolérable des canons stylistiques.
Cela invalide aussitôt le tsar de Vladimir Ognev, malgré sa belle voix de basse et ses louables intentions, ainsi que le Danilowitz d’Aled Hall, ténor hors sol. Que venait faire dans cette galère Christopher Maltman en Gritzenko, certes linguistiquement plus orthodoxe ? On devine ce que donne par ces messieurs le chant syllabique rapide… Se remarque en revanche le Georges du jeune Juan Diego Flórez, que Mathilde de Sabran vient de révéler à Pesaro. Les dames, heureusement, sauvent la mise, Praskovia déliée de Darina Takova ou, surtout, Catherine d’Elizabeth Futral, joli colorature au timbre fruité et à la vocalise brillante. À l’orée de sa carrière, Vladimir Jurowski promet beaucoup à la tête d’un orchestre et d’un chœur dont on n’attendra pas d’intimité avec ce répertoire.
En attendant que justice soit rendue au chef-d’œuvre de Meyerbeer, ce coffret d’abord édité par Marco Polo a au moins le mérite d’exister. On peut également découvrir L’Étoile du Nord sur Youtube, à travers une version de concert remarquablement dirigée par Sakari Oramo à Helsinki – le I se passe en Finlande – et dominée par la superbe Catherine d’Anu Komsi, mais souvent aussi exotique que la production de Wexford, avec un tsar impossible. À quand une résurrection par le Palazzetto Bru Zane, où pourrait éblouir une Sabine Devieilhe, à qui Catherine irait comme un gant ?

D. V. M