Marie Gautrot (Catarina), Karina Gauvin (Margherita), Karine Deshayes (Fausto) et Ante Jerkunica (Mefisto). © Gil Lefauconnier

Pour son Xe festival parisien, le Palazzetto BruZane met à l’honneur la compositrice Louise Bertin en redonnant Fausto pour la première fois depuis sa création en 1831 au Théâtre-Italien. Inspirée du Faust de Goethe, la partition de Bertin semble traversée d’injonctions esthétiques contradictoires, comme une tentative de synthèse. Ainsi, le livret d’origine germanique évacue toute notion philosophique présente dans son alter ego littéraire, mais ne se fond pas non plus dans une esthétique italienne franche et assumée. La découpe musicale, où l’on rencontre finalement peu d’alternance récitatifs/airs, se souvient des expériences de continuité de l’action musicale de la tragédie lyrique réformée, comme en témoignent les invocations à Satan, vocalement spectaculaires mais non intégrées dans un air à proprement parler. La vocalité est moins virtuose qu’attendue dans le répertoire italien, plus charmante que véritablement dramatique, comme le duo d’amour du deuxième acte – au demeurant peu marquant musicalement. Globalement, l’écriture des parties vocales est ancrée dans le grave des tessitures, y compris le rôle de soprano de Margherita qui se trouve presque dépourvu d’aigus. Si l’écriture vocale est ingrate, car ennuyeuse, Louis Bertin fait preuve d’une remarquable inventivité dans le traitement de l’orchestre. On admire la variété des figures d’accompagnement, le sens de la couleur et des doublures instrumentales, l’écriture se renouvelle sans cesse et anime l’orchestre. Malheureusement, au-delà de cet aspect, l’invention est en berne. Dommage, le précédent de La Esmeralda permettait de nourrir les meilleurs espoirs.
 
Les valeureux interprètes réunis autour de cette œuvre ne déméritent pourtant pas, à commencer par Karine Deshayes (Fausto) qui habite son personnage redevenu jeune premier. Comme toujours, on apprécie le sens théâtral, la diction qui fait place à l’émotion, la beauté de la voix, l’aigu radieux, le médium chaleureux, le sens de la ligne vocale, l’élégance belcantiste (malgré l’absence d’objet dans la partition), en bref la présence d’une grande artiste. Karina Gauvin – encore moins avantagée par le rôle de Margherita – a la voix longue, souple et charnue, mais semble parfois se demander que faire avec la partition. Ante Jerkunica (Mefistofele) fait valoir son timbre soyeux mais abandonne un peu la ligne, et Nico Darmanin (Valentino) assume crânement sa scène virile en dépit d’une écriture qui sollicite le bas-médium et les graves de ce ténor habitué des rôles plus haut perchés.
 
Enfin, Christophe Rousset dirige avec énergie ses Talens Lyriques, sollicitant l’orchestre sans ménagement dans les forte, ce qui a pour conséquence de couvrir parfois les chanteurs. Il trouve parfois la poésie que Bertin insuffle à l’orchestre, abandonnant alors le systématisme de contrastes piano/forte poussés à l’extrême.
 
Si l’on ne peut que louer la volonté de sortir les compositrices des oubliettes de l’histoire, on se demande quand nous pourrons entendre La Montagne noire d’Augusta Holmès, ou bien Les Naufragés d’Ethel Smyth, ou bien à nouveau La Esmeralda de Louise Bertin ? Œuvres autrement plus inspirées que ce Fausto… 

J.C


Ante Jerkunica (Mefisto). © Gil Lefauconnier