Vénus et Adonis
Ida Ränzlöv (Vénus), Bernt Ola Volungholen (Adonis), Rupert Enticknap (Cupidon), Christina Larsson Malmberg (Dame d'honneur de Vénus et Seconde Muse), Lisa Carlioth (Bergère et Première Muse), Mathilda Sidén Silfver (Bergère, Premier Chasseur et Troisième Muse), Mikael Stenbaek (Berger et Deuxième Chasseur), Arash Azarbad (Berger et Troisième Chasseur).
 
Didon et Énée
Ida Ränzlöv (Didon), Bernt Ola Volungholen (Énée), Rupert Enticknap (l'Enchanteresse), Christina Larsson Malmberg (Belinda), Lisa Carlioth (Seconde Suivante, Première Sorcière et Une dame de la cour), Mathilda Sidén Silfver (Seconde Sorcière, Un esprit, Une dame de la cour), Mikael Stenbaek (Un marin et Un courtisan), Arash Azarbad (Une dame de la cour)
 
Orchestre et chœur de l'Opéra Confidencen et du Festival musical, direction : Olof Boman, mise en scène : William Relton (Théâtre Confidencen, août 2021).
Opus Arte OABD7308D. Synopsis en anglais ; sous-titres anglais. Distr. DistrArt Musique.
 
Premier DVD réunissant les deux ouvrages fondateurs de l'opéra anglais, cette superbe production provient de Suède, plus précisément du théâtre Confidencen, situé dans le domaine du château royal d'Ulriksdal, à proximité de Stockholm. Construit en 1753, soit treize ans avant celui de Drottningholm, il est le plus ancien théâtre rococo suédois. Laissé à l'abandon après l'assassinat de Gustave III en 1792, il donna lieu à d'importants travaux de restauration à partir de 1976 avant de retrouver sa machinerie d'origine en 2004.
 
C'est donc dans un ravissant écrin historique, où châssis et toiles peintes surgissent puis disparaissent en deux temps trois mouvements, que prennent place les chefs-d'œuvre de Blow et de Purcell. En à peine une heure trente de spectacle, les nombreux et très jolis décors de Christer Nilsson nous promènent ainsi du temple de l'Amour à la forêt où se déroule la chasse (Vénus et Adonis) et du palais de Carthage à la grotte des sorcières puis au port de la ville (Didon et Énée). Sachant tirer le meilleur parti d'un plateau fort exigu, William Relton excelle dans le mélange des tonalités, dimension essentielle ici. On retrouve le côté léger en particulier chez Blow, avec notamment un Cupidon coquin à souhait et de petits chiens articulés formant une meute d'une drôlerie irrésistible. La sensualité débordante de Vénus et Adonis se traduit avec éloquence dans un tableau où le jeune homme, étendu nonchalamment sur un lit, descend des cintres pour retrouver sa bien-aimée. Dans Purcell, l'atmosphère horrifique des sorcières se situe très justement entre terreur et ironie, en un contraste saisissant avec les grâces de la cour. Enfin, la déploration finale des deux héroïnes nous laisse sur des images fortes. Blessé à mort par un sanglier, Adonis est couché sur son lit qui remonte ; son bras droit, agité par le mouvement d'ascension, se détache du corps et pend dans les airs, ce qui permet à Vénus de saisir sa main en signe d'ultime tendresse. À l'inverse, après le départ d'Énée, Didon se dirige vers le fond de la scène puis s'enfonce très progressivement dans les dessous. Dans les deux cas, la symbolique est simple mais l'effet se révèle absolument poignant.
 
Compte tenu de l'espace réduit de la fosse et de la scène, musiciens et chanteurs sont en très petit nombre. Si l'on peut craindre de prime abord une version presque trop intimiste, on est bien vite détrompé. À la tête de ses douze musiciens, Olof Boman insuffle une vigueur peu commune, possédant un admirable sens du rythme et des couleurs orchestrales, malgré une section des cordes manquant un peu d'étoffe. Extrêmement nuancée, sa direction virevolte dans les danses, se fait suave dans les épanchements et déchirante dans les moments pathétiques. Non contents de former un petit chœur d'une belle cohésion, les quatre chanteurs se partagent également quelques rôles secondaires qu'ils assument avec beaucoup de conviction et d'aisance scénique. Le contre-ténor Rupert Enticknap compense amplement un relatif manque d'homogénéité vocale par une forte présence, d'abord en Cupidon à l'humeur narquoise, puis en Enchanteresse à la fois grotesque et inquiétante. La Belinda de Christina Larsson Malmberg est pour sa part adorable de joie de vivre, de complicité, puis de compassion envers sa sœur dévastée. Le baryton norvégien Bernt Ola Volungholen possède un timbre viril et une belle ardeur qui rendent émouvants son Adonis et son Énée. La vedette incontestable de la soirée est néanmoins Ida Ränzlöv, qui endosse avec brio et surtout une grande sensibilité les deux rôles tragiques féminins. Dotée d'une magnifique voix de mezzo plutôt claire, elle joint à une longueur de souffle impressionnante une intelligence musicale qui ne se dément jamais. Enjouée, cajoleuse, puis éplorée, sa Vénus rivalise de richesse expressive avec sa touchante Didon, d'abord cruellement tourmentée par le désir dans « Ah ! Belinda », puis bouleversante dans un « When I am laid in earth » qui refuse tout ralentissement de tempo excessif. En plus de constituer d'ores et déjà une version de choix du diptyque anglais, ce DVD possède le mérite de révéler une artiste qui a l'étoffe des grandes tragédiennes.


Louis Bilodeau