Ailyn Pérez (Mimi). © Guergana Damianova

Parmi les œuvres incontournables du répertoire, l’Opéra de Paris choisit de présenter La Bohème dans la mise en scène lunaire imaginée par Claus Guth, qui avait provoqué de vives réactions en 2017 de la part du public, entre rires et huées.

Le rideau se lève sur un décor inattendu, celui d’un vaisseau interstellaire à la dérive dans l’immensité de l’espace. Dans un silence comblé par le souffle d’une tuyauterie spatiale, des extraits du journal de bord de Rodolfo nous livrent dès le début la pensée du metteur en scène : les quatre astronautes, jadis artistes, sont sans espoir de retour sur Terre, les vivres deviennent insuffisants, l’oxygène se raréfie et la mort a déjà frappé plusieurs fois. Les personnages à l’agonie tentent par tous les moyens de détourner leurs pensées de l’inéluctable et le manque d’oxygène transforme leurs souvenirs en hallucinations qui les hantent et donnent à l’œuvre une dimension doublement tragique : non seulement les protagonistes se meurent mais se remémorent les tourments liés à leur vie d’antan comme la maladie et le long déclin de Mimi.

Au premier abord, cette transposition propose une lecture intéressante. Le froid et la misère qui règnent dans la mansarde d’origine trouvent un écho dans le climat de détresse et de manque qui règne à bord du vaisseau et la dimension macabre de la situation est poussée jusqu’à assimiler le propriétaire Benoît à l’un des astronautes trépassé dont les quatre amis se partagent les répliques. Quant à l’apparition de Mimi, elle est bel et bien celle d’un fantôme. Silhouette aux pieds nus et en robe rouge, bougie à la main et se mouvant lentement comme flottant dans l’air, elle incarne à la perfection le souvenir d'une histoire d'amour révolue que Rodolfo cherche à revivre. Une question se pose néanmoins : si Mimi n’est qu’une pâle réminiscence d’une personne déjà disparue, alors tout n’est-il pas résolu dès le début ? Cette interrogation demeure en creux dès le premier duo d’amour, que les amants chantent comme déconnectés l’un de l’autre, jusqu’au dénouement où Mimi regarde Rodolfo s’éteindre sous ses yeux dans un cratère lunaire. La déchirure aigue habituellement provoquée par la mort de Mimi est ici mise à distance et se change en douleur lointaine.

Si le flou entre illusion et réalité est maintenu pendant le premier tableau et contribue paradoxalement à la cohérence de l'ensemble, il s’estompe rapidement dès le deuxième tableau. L’espace scénique est envahi d’acrobates, de jongleurs, de marionnettes en échasses et de chœurs enthousiastes dont les clameurs joyeuses et l’aspect comique font perdre de vue la souffrance des astronautes, d’autant plus que ces derniers contemplent les doubles d’eux-mêmes surgis du passé sans intervenir. Ce procédé, réitéré dans les tableaux suivants, casse le lien entre présent et passé, nous faisant parfois oublier le propos de la mise en scène. L’histoire apparaît alors transposée aux confins de l’espace sans réelle justification.

Dans ce paysage, Ailyn Pérez incarne une Mimi presque effacée et fragile au timbre clair, capable de subtilités mais sur la réserve, à l’émission peu puissante, ce qui sied en partie à son personnage évanescent. Au contraire, la Musetta de Slávka Zámecniková est expansive, son timbre est rond et charnu et sa présence habite l’ensemble du plateau. À leurs côtés, Joshua Guerrero campe un Rodolfo physiquement et vocalement engagé qui semble être le seul à ne pas vouloir se résigner face à la mort. Bien que sa voix tende parfois à se durcir, il offre d’émouvants moments d’emphase. Dans la fosse, Michele Mariotti prend soin de ne pas couvrir les voix et parvient à s’adapter aux registres de chacun tout en conservant énergie et brillance, bien que l’homogénéité des timbres nous fasse regretter l’absence de contrastes plus marqués.

Aurianne Bec


Joshua Guerrero (Rodolfo) et Ailyn Pérez (Mimi). © Guergana Damianova